L’Uruguayen par la Cie Pirenopolis © D.Caviglia

L’Uruguayen par la Cie Pirenopolis

Bonne Copi

 

La compagnie Pirenopolis orchestre une belle rencontre entre un texte de Copi, un acteur talentueux et un public conquis par L’Uruguayen mis en scène par Christophe Chave, au Théâtre Antoine Vitez.

 

 

« J’en suis au point où je ne touche plus à la vie, mais avec en moi tous les appétits et la titillation insistante de l’être. Je n’ai plus qu’une occupation, me refaire. » (1)

 

Dans un Montévidéo à la merci des caprices et des folies d’une dictature militaire, un exilé se lance dans un monologue adressé à un « Maître ! », sans doute à lui-même, à son propre esprit, qui n’est plus en vie, qui n’est qu’un double raisonnable, confortablement installé dans ses subterfuges, une ruse de dieu, un trou au centre de slogans absurdes.

Nous, en quelque sorte…

« Connard, vieux con, je ne serai plus jamais avec toi ! », dit-il en préambule, pour prendre définitivement le pouvoir, pour rétablir les faits en usant de la rigueur mathématique de la confusion et du délire. Le fer brûlant de l’imagination et une agilité de pensée peu commune font que les mots prennent possession de l’espace, les images s’enchaînent, se percutent, vont jusqu’au bout, corrosives et implacables.

Sous ce regard visionnaire, les logiques et leur fascisme inhérent se suicident dans le mouvement absurde qu’elles ont engendré.

Cette voix est la force de survie que porte le poète au milieu du désastre politique et social, avec un humour dévastateur où le rire survient toujours en contrepoint du pire, un peu comme rire en ayant la chair de poule. Copi vient d’une époque où la contre-culture taillait joyeusement en pièces le politiquement correct dont le présent nous abreuve.

Cet Uruguayen dans un maillot à poche dont il extrait des arachides qu’il mastique, comme un philosophe grec en slip sous amphétamines, c’est l’acteur Stephan Pastor, proprement hallucinant et d’abord au centre de la scène comme de la chair dans un tableau de Francis Bacon.

Il donne l’impression d’habiter littéralement sur le plateau, qu’il nous fait oublier, le transformant en une page plastique qu’il va peupler, dans laquelle il va se déplacer, se mettre à nu. Sa voix, précise et parfaitement rythmée, sculpte une réalité panique, burlesque, radicale, nous entraîne vers un ailleurs surréaliste qui pourrait être notre ici.

C’est un théâtre qui n’est pas psychologique mais plastique et physique, tel que le souhaitait Antonin Artaud dans Le Théâtre et son double, un théâtre délivré du réseau de signification propre à la littérature.

Il y a du Louis de Funès chez Pastor. « Il animale la parole et fait parler les planches. Il sait que ce n’est pas sur des planches qu’il entre, mais par les voies intérieures qu’il va, et que c’est sur notre tête et dans sa tête qu’il marche. » (2)

C’est vraiment un art de l’acteur qui nous est donné à voir, une alchimie de la présence, de l’énergie, une connaissance de l’invisible, de l’humain, qui se déplie dans une mise en scène et une scénographie simple, subtile et pleine d’humour dans sa mission de tout faire converger vers l’interprète comme si le plateau respirait avec lui.

 

Olivier Puech

 

L’Uruguayen par la Cie Pirenopolis était présenté le 7/02 au Théâtre Antoine Vitez (Aix-en-Provence)

 

 

Notes
  1. Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, 1938[]
  2. Valère Novarina, Pour Louis de Funès, 1986[]