L'interview : Thomas Ordonneau

L'interview : Thomas Ordonneau

Shellac est l’une des structures de distribution cinématographique les plus actives dans l’hexagone, dont le catalogue (Mouret, Deligny, Des Pallières, Klotz…) s’étoffe année après année avec la même exigence cinéphilique. Thomas Ordonneau, co-fondateur, ouvre actuellement une antenne à Marseille, nommée Shellac Sud, qui, outre le développement de la structure dans les domaines de l’édition vidéo et de la production, entend apporter son soutien à la diffusion dans la cité phocéenne d’œuvres rares. Dont acte avec une salve actuelle au Polygone Etoilé particulièrement inspirée… (lire la suite)

Shellac est l’une des structures de distribution cinématographique les plus actives dans l’hexagone, dont le catalogue (Mouret, Deligny, Des Pallières, Klotz…) s’étoffe année après année avec la même exigence cinéphilique. Thomas Ordonneau, co-fondateur, ouvre actuellement une antenne à Marseille, nommée Shellac Sud, qui, outre le développement de la structure dans les domaines de l’édition vidéo et de la production, entend apporter son soutien à la diffusion dans la cité phocéenne d’œuvres rares. Dont acte avec une salve actuelle au Polygone Etoilé particulièrement inspirée

Peux-tu nous présenter rapidement Shellac ? Nom issu d’une ancienne passion pour Steve Albini ?
Oui, nous étions fans d’Albini (ndlr : leader du groupe Shellac et producteur entre autres des Pixies et de Nirvana). Mais pour la blague, nous avançons l’acronyme S(ociété) HEL(liotrope) (de) L(‘ibre) A(ction) C(ulturelle). Nous sommes essentiellement une boîte de distribution, mais nous co-produisons, éditons, et travaillons en aval dans l’organisation de certains évènements. Nous avons sorti les moyens-métrages d’Alain Guiraudie, les films d’Emmanuel Mouret, dont Venus et Fleur, des films plus commerciaux, aussi, comme Osmose. Nous nous sommes beaucoup engagés sur la sortie du prochain Mouret, une comédie sur fond de crise du logement, avec un joli casting. Il est appréciable de voir que nos films ont généralement une très bonne presse, ce qui ne nous empêche pas de nous prendre des tôles. Beaucoup de films cependant s’inscrivent sur la durée, comme 9m2 pour deux. L’Alhambra le reprend d’ailleurs cette semaine.

Qu’est-ce qui caractérise réellement l’identité de la structure ?
Là où je fais la différence avec plusieurs distributeurs, c’est que je suis optimiste, je crois en des choses improbables. Et, surtout, je ne travaille pas que pour l’argent. J’essaie de penser à l’avenir, je me dis que si je ne participe pas au développement de certaines cinématographies, elles n’existeront plus. Il faudra se contenter d’acheter des films sur un marché pour les vendre sur un autre marché. Nous nous mouillons pour les films, comme sur le prochain Mouret. Le genre de film qui arrive à sortir sans aide, ou presque, du CNC, sans chaîne de télé pour soutenir. C’est un bon exemple : il est possible de travailler un peu hors du système, si tu sens ton film, tu ne vas pas t’asseoir dessus parce que le CNC et une télé n’en veulent pas ! Nous évitons donc ce phénomène d’indexation au système : c’est le coup de cœur qui prime. On travaille sur des échelles totalement différentes, ce qui nous permet d’être parfois industrieux dans notre artisanat. D’avoir des méthodes quasi-stakhanovistes de distribution, de communication, de mise en place des films dans les salles, d’élaboration des partenariats. C’est un travail assez fin de programmation, finalement. On préfère tirer moins de copies, ne pas encombrer les écrans, mais les faire tourner plus longtemps. Pour Secteur 545, par exemple, on a cherché également à avoir une visibilité dans le milieu rural.

Quel était le but d’ouvrir une antenne Shellac à Marseille ?
Les raisons, elles sont d’abord personnelles. J’habite Marseille, et je n’avais pas envie de passer mon temps dans les trains et sur mon portable. Nous avons élu résidence au Polygone, et nous confirmons notre engagement dans le tissu local en organisant des rencontres et des évènements, comme ça avait été le cas avec Arnaud de Pallières, que nous avions également distribué. Tout cela a un sens global pour nous, et s’inscrit dans notre travail de distribution. Nous proposons depuis peu une série de rencontres exceptionnelles au Polygone. Après Guiraudie, il y aura Pierre Creton, Chantal Akerman et Henri-François Imbert sous réserve.

Quel regard portes-tu sur la production hexagonale ?
Il y a toujours ce problème d’équipement dans les villes, pas assez d’écrans par rapport aux propositions qui sortent chaque semaine. Ça confine finalement le spectateur dans une logique de consommation. Mais il ne faut pas toujours vilipender le public. Il suffit parfois d’une personne, qui est là, qui montre les films, pour épaissir la demande, et améliorer les choses. Le César, à une époque, avec François Da Silva, à Marseille, est un bon exemple. Je ne veux pas croire que les gens sont tous comme des moutons derrière les films têtes de gondole. Beaucoup de gens on envie d’autres choses. Or dans beaucoup de pays, même à un niveau industriel, il y a beaucoup de recherche, de financement aux expérimentations, au développement de projets qui n’aboutissent pas forcément. Beaucoup moins en France. Ici, on fait un film pour gagner, basta. Pas pour essayer, tester de nouvelles voies. Il y a peu de demi-mesure. Soit on donne dans le petit, et le petit n’intéresse pas les financeurs, soit dans le gros. Mais qu’importe. Je crois aux niches. Construire, petit à petit, un tapis solide est déjà une belle satisfaction.

Sellan