L’entretien | Waly Dia

« L’humour, c’est que de la surprise ! C’est le cerveau surpris qui rigole. Et comme les cerveaux des gens évoluent, il faut leur donner plus ! » Et on peut faire confiance à Waly Dia, comédien et humoriste à la plume trempée dans l’acide, pour donner son maximum aux cerveaux marseillais lors de son prochain passage au Silo. Une escale phocéenne dont on a profité pour lui parler humour, politique et grève générale.

 

 

On serait tenté de penser que la période actuelle est bénie pour les humoristes, avec le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites, le 49.3, la répression des manifestations… Est-ce vraiment le cas ?

Pas vraiment. De mon côté, la réforme des retraites, j’en parlais déjà il y trois ans. Du coup, je m’en sors un peu mieux parce que ce sont des choses que j’ai toujours explorées et exploitées. Mais c’est pas forcément facile, parce que le sujet est beaucoup plus scruté, plus attendu. Il faut donc être surprenant, ne pas se contenter d’enterrer Macron purement et simplement, même si je le fais volontiers aussi.

 

Dans tes chroniques, on sent d’ailleurs une colère…

Oui ! Je suis comme tout le monde : j’ai l’impression d’être banané depuis que je suis né et à un moment, faut que ça sorte ! On sait très bien que la colère, quand elle arrive droite et sans fioritures, elle est toujours délégitimée, alors qu’avec l’humour, c’est impossible. L’humour, c’est l’arme parfaite pour ne pas se retrouver comparé à ceux qui ont envahi le Capitole !

 

Il y a beaucoup d’humoristes en France, mais il y en a finalement peu dans le créneau politique. Vous vous retrouvez tous à 17h sur France Inter, non ?

Tous les islamo-gauchistes, tu veux dire ?! (rires) C’est vrai, on m’a souvent fait la remarque. C’est un terrain compliqué pour les humoristes en fait. Déjà parce que le public est intransigeant, exigeant, avec du répondant ; donc c’est sûr que si on fait un sketch sur les brosses à dent, on prend moins de risques que sur la discrimination à l’embauche… C’est aussi se frotter à tous ceux qui ne sont pas d’accord. C’est une forme d’humour qui crée énormément de détracteurs, même si à l’inverse, elle crée une adhésion beaucoup plus forte. C’est une pratique « dangereuse » de l’humour ; je comprends qu’il y en ait moins…

 

C’est dangereux de quelle manière ? Physiquement ?

Non, c’est dangereux en termes d’appréciation et d’accueil du public. La polémique peut arriver très vite. Il y en a qui sont armés contre ça : moi par exemple, j’en déclenche, surtout à l’extrême droite, tous les mardis, donc je m’en fous ! Mais je peux comprendre que certains n’aient pas envie de s’attaquer à ce genre de sujets, je les juge pas, d’autant que ça nous laisse plus de place (rires). Et puis avec ce genre d’humour, on est moins invité dans les médias, on nous voit moins que d’autres…

 

Et toi, qu’est-ce qui te fait rire, à part peut-être ce que tu nous racontes ?

Eh bien justement, ce que je raconte, c’est ce qui ne me fait pas rire ! (rires) J’essaie de faire rire les autres avec, parce que j’imagine ne pas être le seul dans ce cas…

Ce qui me fait rire, je n’ai pas besoin de le mettre dans le spectacle : ma fille me fait hurler de rire, mes potes… Beaucoup de choses et beaucoup d’humoristes me font rire. Je suis un amoureux des humoristes.

 

 

« La colère, quand elle arrive droite et sans fioritures, elle est toujours délégitimée, alors qu’avec l’humour, c’est impossible »

 

 

De tous, vraiment ?

Même ceux que je n’aime pas a priori, je vais regarder quand même en me disant qu’ils ont peut-être changé, évolué. Je suis un bon client en humour !

Mais c’est vrai qu’il y a un vrai problème de fond chez les humoristes français, je peux d’ailleurs me mettre dedans ! J’ai l’impression que ça pousse pas énormément pour arriver à quelque chose d’ultra léché et qualitatif. Il ne suffit pas de comprendre la technique et de la répéter jusqu’à épuisement, il faut chercher l’originalité. L’humour, c’est que de la surprise ! C’est le cerveau surpris qui rigole. Et comme les cerveaux des gens évoluent (ils ont plus de références, de culture, d’autres humoristes…), il faut leur donner plus ! C’est comme dans tous les domaines. Peut-être que dans d’autres pays, cette envie d’aller plus loin existe plus qu’ici. Ne serait-ce qu’en Angleterre, le niveau est très très haut. Ça paraît facile de dire ça, mais là-bas, il y a une exigence de travail beaucoup plus élevée… C’est aussi parce que là-bas, s’ils ne travaillent pas, ils meurent. Attention, on est protégé et c’est très bien, je suis pas en train de dire qu’il faut couper le régime des intermittents, mais peut-être que ça permet de prendre plus son temps. C’est une hypothèse, hein, mais on voit bien qu’aux États-Unis, s’ils n’y arrivent pas, ils mangent des cailloux…

 

As-tu des maîtres à penser, des influences ? Qu’est-ce qui nourrit ton humour ?

Je n’ai aucun maître à penser, mais des gens que j’apprécie beaucoup, des humoristes, mais aussi des auteurs… Les humoristes, on est des agrégats de tout ce qu’on a lu, ce qu’on a vu et ce qu’on a compris. Il y a forcément des influences, mais elles sont tellement nombreuses que je ne peux en citer aucune comme ça.

 

Est-ce que ton spectacle a changé depuis ton dernier passage au Silo il y a deux ans ?

C’était l’une de mes premières dates et évidemment, beaucoup de choses ont changé depuis !

 

Donc si on t’a déjà vu, il faut revenir ?

C’est pas un argument marketing à la con, mais oui, il y a beaucoup de nouvelles choses, des ajouts, des changements dans ma façon de jouer.

 

Ceux qui t’ont vu au Silo ont pu constater en tout cas que ton public est extrêmement bigarré comparé aux autres chroniqueurs de France Inter…

J’ai un passif ! (rires) Il y a des gens qui me suivent depuis longtemps (ndlr : il a aussi fait partie du Jamel Comedy Club et de l’émission On ne demande qu’à en rire sur France 2) ; et puis j’ai toujours eu envie réunir des gens qui parfois ne se croisent même pas « dans la vraie vie », je me suis toujours attelé à ça. Je ne suis pas dans la case Jamel ou la case France Inter, je sais faire les deux et je peux me permettre de réunir les deux. Enfin… ce sont les gens qui viennent qui permettent ça.

 

D’où le titre du spectacle… Ensemble ou rien ?

Exactement. C’est le but ultime de ma carrière : continuer d’avoir un public venant de tous les horizons. Même dans ma construction, je parle à tout le monde, je ne fais pas de calcul, je n’ai pas de cible marketing.

 

Mais quand on parle à tout le monde, que fait-on quand on se retrouve face à quelqu’un qui est à l’extrême opposé de soi ?

Déjà, il y a peu de chance que ces gens viennent me voir en spectacle… Et dans la vie, ils ne viennent pas me parler non plus. Ces gens-là ne vont pas venir te dire ce qu’ils pensent en face, à moins d’être à dix ou armés. Avec l’extrême droite, on n’est pas sur du courageux, hein, mais sur du petit pseudo internet qui dans la réalité ferme sa gueule et va au boulot. C’est ce que j’essaie de faire comprendre dans mes spectacles : ce n’est pas parce que c’est un discours plus ou moins dominant dans les médias qu’il l’est dans la vie. Personne ne se balade dans la rue avec un t-shirt « I love Zemmour ». Le mec fait 7 %, il a pas de députés, faut arrêter de faire croire que c’est répandu. Les gens qui votent Zemmour ont honte, parce qu’ils savent très bien que ça n’a aucun sens…

 

On a pourtant l’impression que c’est moins la honte de s’afficher RN qu’avant…

Pourquoi ? Parce qu’ils étaient obligés de faire semblant de ne plus être racistes. Dès qu’ils prennent leurs vraies positions, tout de suite ça ne marche plus. Depuis six, sept ans, Marine Le Pen essaie de faire oublier l’héritage du père et elle-même de s’ériger en bonne mère de famille, qui a rien contre les noirs et les Arabes mais-faut-quand-même-arrêter-un-petit-peu-l’immigration-parce-qu’il-y-en-a-trop… Bardella, c’est un identitaire fini ! Ce n’est pas parce que le petit vernis médiatique fait effet qu’il faut croire qu’ils ont changé.

Ils arriveront jamais à imposer leurs idées de manière radicale, ce sera toujours par du compromis, de la cachoterie… La dédiabolisation. Des choses qu’ils n’assument pas en vrai.

J’ai jamais parlé à ces gens-là ; je cherche même pas à discuter avec eux. La seule que j’ai rencontrée, c’est Marion Maréchal et je lui ai tout de suite dit qu’elle était raciste. Et on voit bien que dès qu’on les met face à leurs vraies positions, ils perdent leurs moyens. Elle était calme pendant toute l’émission et il n’y a que face à moi qu’elle s’est énervée.

J’ai pas envie de discuter avec des gens qui me marcheraient dessus s’ils le pouvaient. La discussion ne sert à rien ; il faut être intransigeant avec ces gens-là.

 

 

« C’est rageant de se dire qu’on a des idées qui ont dix mille ans d’avance sur nos conditions de vie. »

 

 

Et avec les complotistes ? Tu as eu affaire à un coiffeur complotiste, semble-t-il…

Une fois, dans un salon de coiffure, pendant vingt, trente minutes, j’ai eu droit à toutes les théories possibles ! C’était fantastique, y avait tout, même le dôme au-dessus de la Terre !

Et tu peux pas dire grand chose, parce qu’il est quand même avec une paire de ciseaux au-dessus de ta tête ! (rires).

Évidemment, ce type était hyper caricatural, mais comme je le dis toujours : faut être fou pour croire qu’il y a des complots partout, mais il faut aussi être fou pour croire qu’il n’y en a nulle part… Évidemment qu’il y a des gens qui se mettent d’accord pour que ça aille dans leur sens plutôt que dans le sens des gens. Mais ce ne sont pas des complots cachés, il n’y a pas d’organisation secrète, ils ne se cachent même pas, ils se gavent devant nous !

 

À propos de gens qui se gavent, tu as présenté les vœux secrets du Président sur Médiapart cette année. Et toi, c’est quoi ton plus grand vœu pour tes compatriotes ?

Ce qui me rend dingue, c’est qu’on a tout pour que ça marche ! On sait faire tellement de choses, on sait régler tellement de problèmes… Mais il y a une petite élite qui nous en crée des tas ! C’est rageant de se dire qu’on a des idées qui ont dix mille ans d’avance sur nos conditions de vie. C’est pas la nature qui nous empêche de faire les choses bien, ce sont ces gens-là. Je pense que le pouvoir enlève toute forme d’empathie et n’attire que des gens corruptibles. Moi, demain, on me propose d’être président, j’ai pas envie ! J’ai pas envie de diriger des gens…

 

Mais est-ce qu’être président, c’est diriger des gens ?

Sur le papier, c’est quelqu’un qui oriente les grandes décisions pour le pays après avoir écouté, consulté… Mais là, il est simplement en train de mettre en place ce que veulent ceux qui l’ont financé. À aucun moment, il n’est au service des gens. Macron, c’est un ennemi du peuple. Il est du même acabit que Sarkozy et d’autres, mais il a ce mépris affiché en plus.

 

Parfois, on se dit même qu’il est pire…

Ah non, il est pas pire que Sarkozy. Sarkozy, c’est vraiment la mère de toutes les batailles. C’est à partir de lui que ça décroche complètement. On se rend pas compte à quel point il a abimé la fonction présidentielle. Il a détruit le statut de président et toutes les décisions qu’il a prises font encore très mal aujourd’hui : les policiers en moins, c’est lui ; les lits en moins, c’est lui en grande partie ; la déstabilisation de la Libye et le terrorisme qui en découle, c’est lui… Il est au centre de tout ce qui nous tombe sur la gueule depuis quinze ans.

Mais Macron, en plus du reste, c’est ce mépris total affiché pour les gens en difficulté, et les gens en général, qui est insupportable. Je trouve même que les gens sont gentils par rapport à ce qu’il leur fait subir, relativement calmes par rapport à l’immensité de l’escroquerie Macron.

 

Que faudrait-il faire selon toi : tout péter ?

Je ne pense pas que tout détruire soit forcément la solution, mais une vraie grève générale, totale, sur très peu de temps, pendant laquelle tout le monde s’arrête, ça peut changer beaucoup de choses. Et je pense que c’est ce qu’ils redoutent le plus. Parce que si on casse, ils arriveront toujours à tourner ça de manière à justifier leur autoritarisme. Une France à l’arrêt sur trois jours, ils nous écouteraient. Il faut voir ce qui s’est passé pendant le covid : le « quoi qu’il en coûte », c’était pas pour aider les gens, mais pour pas que l’économie s’effondre… Pour qu’ils lâchent autant d’argent aussi vite, c’est bien la preuve que ça a un vrai impact. La grève générale, c’est l’arme ultime, le dernier moyen pour les gens de se faire entendre. Le problème, c’est que plein de gens ne peuvent pas se permettre de faire grève, même s’ils voudraient le faire…

Tandis que moi, ce serait complètement contre-productif que je fasse grève : ça ferait juste plaisir à ceux qui m’aiment pas. (rires) Les artistes doivent relayer la colère des gens de terrain, on est des amplificateurs.

 

Mais on a l’impression que ce n’est pas vraiment le cas… La culture semble un peu en retrait justement… (1)

Je m’exclue du truc parce que je fais ça tout le temps. Je pense qu’il y a une double faute dans ce secteur là. D’abord, les artistes sont devenus frileux, certains sont dans une logique marketing d’une platitude scandaleuse… En fait, c’est même pas les artistes, c’est le business de la musique et du cinéma qui est devenu complètement aseptisé.

Et puis il y a aussi une agressivité du public qui est compliquée à gérer pour les artistes. Quand ils prennent position, on leur dit de la fermer, et quand ils ne le font pas, on leur rentre dedans.

La position des artistes est compliquée… Si on veut avoir des relais d’opinion, il faut les soutenir. C’est du donnant-donnant.

 

Ventilo est un journal culturel. As-tu des conseils dans ce domaine pour nos lecteurs ?

Je me suis replongé dans toute la période ciné d’Audiard et compagnie. On se rend compte de la puissance de la langue française, de tout ce qu’elle peut décrire, de tout ce qu’elle peut sublimer. Les dialogues sont d’une perfection ! C’est désolant d’ailleurs, de se dire qu’on faisait déjà ça il y a soixante ans et que maintenant, on ne le fait plus, et pire, que si on essaie, on ne nous laisse pas le faire !

 

Ah bon ?

Je suis en train d’essayer de développer des projets ciné et série, et les gens que j’ai en face de moi, c’est terrible ! Ils connaissent mieux les gens que moi apparemment (rires) et ils ont toutes les recettes pour que ça marche… sauf que ça marche jamais ; en tout cas, il y a huit films sur dix qui marchent pas. C’est terrible, cette prétention de savoir ce que veulent les gens alors que tout ce qu’ils font ne marche pas. Je trouve ça fou !

Dans la production et le financement, il y a évidemment des gens talentueux et audacieux, mais globalement, quand on veut faire quelque chose qui sort du cadre, c’est très compliqué. Il y a des synopsis de films, on se demande comment c’est passé, du genre « c’est l’histoire de quelqu’un qui a perdu sa peluche et il faut la retrouver »… Pffff, ça a été financé à coups de millions ! J’avais une idée de film assez politique et incisif, et on m’a dit « les gens n’en voudront pas », alors que c’est exactement ce qui se passe maintenant ! C’est pas grave, ça sortira à un moment donné. Plus j’aurai du public avec moi, plus j’aurai d’arguments…

Et puis il y a du racisme aussi. Si j’avais écrit un film comme Orange sanguine par exemple (de Jean-Christophe Meurisse), qui est assez violent et explicite sur la politique, on ne m’aurait pas laissé le faire. Le réalisateur lui-même dit que c’est passé parce qu’ils étaient tous blancs. J’ai entendu des producteurs parler de films sur les quartiers et la banlieue en disant que c’était des « films hallal ». Il y a des discours qui sont plus difficiles à tenir quand tu es noir ou Arabe que blanc. Et je ne dis pas que les producteurs sont racistes, hein. Je dis juste que si moi j’avais fait ça, ça aurait paru plus violent que quelqu’un qui leur ressemble plus.

La preuve avec Omar : il a juste posé une question et a provoqué un tollé avec une prise de position plutôt banale en plus(2).

Quand on est plus incisif, explicite, frontal, c’est plus dur. Alors que je ne suis pas plus subversif qu’un discours de Miss France : je dis que le racisme c’est pas bien, qu’il faut arrêter de violer des gens et qu’il faut faire en sorte que les écoles et les hôpitaux marchent. C’est pas dingue, comme revendications, hein ? Et pourtant, pour certains, ça sonne comme un contre-discours radical.

 

Propos recueillis par Cynthia Cucchi

 

Waly Dia – Ensemble ou rien : le 11/04 au Silo (35 quai du Lazaret, 2e).

Rens. : www.cepacsilo-marseille.fr / www.adamconcerts.com/

Pour en (sa)voir plus : www.walydia.fr

 

 

 

 

Notes
  1. Entretien réalisé juste avant la tribune signée par 300 artistes dans Libération, demandant le retrait immédiat de la réforme des retraites[]
  2. Interrogé sur la guerre en Ukraine, le comédien Omar Sy s’est dit surpris que les gens soient si atteints alors que l’Afrique est ravagée par les conflits depuis des décennies, demandant : « Ça veut dire que quand c’est en Afrique, vous êtes moins atteints ? […] Moi, je me sens menacé de la même manière quand c’est en Iran ou en Ukraine. […] Une guerre, c’est l’humanité qui sombre, même quand c’est à l’autre bout du monde. »[]