Hugues Kieffer

L’entretien | Hugues Kieffer, directeur du festival Marseille Jazz des Cinq Continents

C’est l’homme à la voix pétrie d’émotion que l’on entend en introduction de chacun des concerts de Marseille Jazz des Cinq Continents. Sans sa présence bienveillante, pas sûr que les propositions de l’organisation auraient la même saveur. Hugues Kieffer, directeur général de MJ5C, a accepté de répondre à nos questions.

 

 

Quelle est votre fonction au sein du festival ?

Je compose une programmation avec des choix artistiques assumés, des évidences de passages les uns après les autres, de rapport au lieu. J’imagine un public qui n’est pas forcément très jazz. Je le rêve, ainsi que les artistes. Je cherche à mettre en place un parcours. J’ai la haute main sur la programmation, mais je suis constamment en dialogue avec les autres membres de l’équipe, avec des amateurs, des artistes et des programmateurs d’autres festivals. Je la présente à l’association en ayant à l’esprit le budget et le rapport budget/public. J’ai commencé en tant que régisseur général, sur le versant technique donc, dès les débuts, en 2000. Au décès de Bernard Souroque, le fondateur du festival, dont j’étais très proche, j’ai naturellement pris le relais à la direction générale.

 

Comment se situe le FJ5C par rapport à d’autres festivals du même calibre en France ?

Sur cette question, j’ai un discours politique et très résistant. Il existe un mouvement macroéconomique de fond qui pousse à la consommation dans le secteur du spectacle. Mais le jazz est un peu extérieur à cet univers. Notre festival est né avec des fonds publics, aussi on se doit d’être au service du public. Notre tarif d’entrée reste modique, trente-cinq euros. On arrive à ouvrir la programmation à des découvertes, des artistes locaux, des groupes en émergence. On défend le service public en fait. Nous sommes toujours une association à but non lucratif. Nous fonctionnons sans les recettes du bar, et nous sommes soutenus par les collectivités territoriales. C’est ainsi qu’on peut programmer une Cecil L. Recchia à Plan-de-Cuques par exemple. Si on ne se bat pas pour ces formules, on ne peut pas continuer. En plus, avec un festival sur treize jours au cœur d’une saison qui dure trois mois, on peut se permettre d’aligner des artistes locaux. Pourtant, il ne faut pas croire que le jazz, ça marche terrible : ce n’est jamais évident pour nous d’atteindre la jauge de 3 500 spectateurs par soir au Palais Longchamp. D’autres festivals, comme notre partenaire Jazz à Vienne, n’arrivent pas vraiment à faire le plein également…

 

Comment avez-vous développé votre ancrage particulier dans la ville de Marseille ?

Ça, j’aime à penser que c’est vraiment ma touche. Monter des projets communs avec la Vieille Charité, le Mucem, l’Alhambra… : c’est comme ça qu’on gagne des terrains pour le jazz. Marseille et le jazz, c’est vraiment une histoire qui m’attire. D’autant plus si la légende en fait partie. C’est le rêve avec le côté grande gueule ! Pour le développement par contre, c’est plutôt le reste de l’équipe qui s’en occupe, sous la responsabilité d’Aurélie Pampana. On était sollicités par les partenaires sociaux : c’est venu naturellement. Il y a eu le travail de fond de Fred Pichot à l’hôpital Valvert, « Les Impatients du Jazz », dont le résultat était bouleversant : nous en avons assuré la représentation. Cette année, il y a le travail avec le collectif Kourtrajmé en vidéo. C’est comme ça qu’on gagne de nouveaux publics pour le jazz. Ce matin (lundi 25 juin, NDLR), Louis Winsberg et Laure Donnat donnaient un concert sur l’histoire du jazz dans une école d’Eygalières. C’est une action citoyenne qui n’est pas toujours visible.

 

Y a-t-il une ligne directrice spécifique chaque année ?

On remet en jeu notre identité. Cette année, on a à cœur de relancer le lien entre les artistes et le public. On s’est rendu compte qu’on a un noyau de spectateurs qui suivent toutes nos propositions, du plus pointu jusqu’aux vedettes. On cherche à mélanger les publics comme ce qu’on a fait l’an dernier avec cette soirée qui réunissait Cécile McLorin-Salvant, Kimberose et Marion Rampal dans des esthétiques vraiment diverses, surtout avec la soul pop de la deuxième au milieu. Je crois que ça a plutôt bien marché. On a aussi un public très blues qu’on ne doit pas oublier. Mélanger les audiences, c’est vraiment notre credo. C’est ce qu’on cherche à développer cette année avec le plateau Yessaï Karapetian/General Elektriks : un jazz qui va plus loin que ce qu’on entend par « jazz » habituellement et un collectif électro exigeant… pour moi, ça, c’est l’embryon de l’avenir. Sinon j’attends avec impatience la soirée avec Herbie Hancock et Anne Pacéo, et je suis particulièrement fier d’avoir programmé le pianiste sud-africain Nduduzo Makhathini, une découverte qui mérite plus que l’attention. En fait, si on peut parler de ligne directrice, c’est dans ce côté à la fois perceptible et immatériel dont le jazz est porteur : ça permet vraiment de changer le monde.

 

Propos recueillis par Laurent Dussutour