Karl B. à la Galerie Anna-Tschopp

Karl B. à la Galerie Anna-Tschopp

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Bas les masques !

La galerie Anna Tschopp ouvre ses cimaises à l’artiste Karl B. Sous le signe du masque, et en référence au poème de Charles Baudelaire, cet artiste autodidacte présente une série d’autoportraits qui plongent le spectateur au cœur de l’intime et de l’inquiétante étrangeté de l’être.

Des feuilles arrachées à un carnet de dessin grand format, sept autoportraits quasi magnétiques se détachent. Karl B y délivre, plus qu’il ne livre au regard, sa propre image. Dans un mouvement répétitif presque qu’obsessionnel, le trait stylographique a détaillé les yeux, point de départ de ces dessins automatiques exécutés sans contrôle systématique, où l’expansion de la forme à la surface du papier n’a de frontières que le bord de la feuille. Sept variations monochromatiques, à l’exception d’une seule qui mêle la palette de couleur réduite du stylo à bille, introduisent l’univers d’une conscience irradiée par la poésie baudelairienne et par l’urgence du geste artistique. La référence est partout présente, jusque dans la signature, qui désignait à l’origine sa marque de tagueur, jusque dans ses fonds qui répètent inlassablement les phrases ou versets du poète comme des mandalas.
Des pratiques magiques du primitivisme ou de l’art brut, les images de Karl B. portent la trace d’une fascination de l’artiste pour son miroir et son propre reflet qu’il travaille en direct. Le masque est tombé comme un arrachage de peau, mais la plastique de l’artiste est reconnaissable, toujours unique dans ses déformations multiples. On pense à la démarche alchimique, à la transmutation, cette situation fragile et dangereuse par laquelle on accède à un autre état.
Il en résulte l’authentique présence d’un visage, d’une vie sans anecdote, produite à la manière de Hucleux, artiste engagé dans une quête subtile de peinture par le trait, ou de Roman Opalka, soucieux de mettre en scène la marche irréversible du temps.
« On peut toujours représenter quelqu’un par l’illustration… Faire un portrait vrai, disait Francis Bacon, un portrait qui met en évidence les apparences d’un être, c’est une chose différente. Pourtant, si on y parvient, le portrait a un impact d’une tout autre violence sur le système nerveux du regardeur parce qu’il remue en lui des sensations irrationnelles, au fond, inconnues de nous. »
Et si des autoportraits de Karl B s’échappe une force expressive extrême, qui saisit, c’est que l’enjeu de l’être y prend une intensité singulière : se surprendre à survivre, rejouer les dés du destin, faire parade à la disparition de la chair, sauver ce qui peut l’être. Coïncidence voulue avec le poème de Baudelaire ? Le surgissement bouleversant de « la véritable tête, de la sincère face » (1) n’est peut-être que l’apparition d’une représentation allégorique.

Christine Maignien

Karl B. du 27 octobre au 17 novembre, Galerie Anna-Tschopp (197 rue Paradis, 6e).
Rens. 04 91 37 70 67 / www.anna-tschopp.com

Notes
  1. Charles Baudelaire, Le masque, in Les fleurs du mal.[]