Jean-François Chougnet

Jean-François Chougnet, nouveau président du MuCEM

L’Interview
Jean-François Chougnet

 

Pleinement conscient des défauts et des qualités de son nouveau lieu de travail, Jean-François Chougnet, désormais président du MuCEM, ne compte pas se reposer sur le succès de 2013. Nouveau rythme, ouverture à l’international, renforcement du lien local… le nouveau patron est prêt à relever tous les défis.

 

Après avoir été à la tête de MP2013, vous prenez les rênes du MuCEM. Comment s’est passé votre premier mois ?
Très bien ! Un mois, c’est très court dans cette maison qui fait des activités très diverses entre la gestion des collections, des expositions, l’accueil du public, sans oublier les relations internes et externes. Ça a été un mois de prise de contact avec les différentes équipes.

 

Lors de cette prise de contact, avez-vous eu l’occasion d’enclencher un dialogue avec le personnel qui pointe du doigt des problèmes d’organisation et un manque de considération ?
Je n’étais pas là au moment où cela s’est passé, mais bien sûr, la discussion est toujours ouverte. L’enquête menée en interne a donné des résultats assez classiques, le point le plus important étant effectivement un manque de considération. Il n’y a pas de solution miracle, mais nous avons des réunions régulières pour comprendre d’où cela peut venir, que ce soit salarial ou organisationnel. Le dialogue est très important, tout comme apporter des réponses aux interrogations du personnel car le musée, ce n’est pas seulement les expositions, c’est aussi l’équipe. En revanche, il y a des demandes qui touchent au national et sur lesquelles je ne peux malheureusement rien faire.

 

Cette année à MP2013 a-t-elle été un plus pour prendre la direction du musée ?
Mon passage à MP2013 m’a permis de suivre la gestation du MuCEM et de travailler avec lors de coproductions et d’événements liés à la programmation de la Capitale européenne de la Culture. Il a fait partie, d’une certaine manière, de ma vie personnelle pendant trois ans car j’ai aussi été visiteur et spectateur. Je ne sais pas si c’est un plus, mais cela m’a permis de mesurer toute sa singularité dans ce territoire. C’est relativement atypique d’avoir un musée — national et non municipal — placé dans cet espace central. Cette relation particulière avec son territoire est d’ailleurs une grande chance pour le musée. A nous de la penser intelligemment car le MuCEM arrive dans une nouvelle phase. Il a eu un démarrage marqué par une notoriété événementielle (3,3 millions de visiteurs depuis l’ouverture) liée à 2013 et qui est encore très palpable. A nous de transformer l’affection et l’appropriation des Marseillais et des visiteurs en une relation culturellement plus féconde encore. Sur ce point, on se rapproche de MP2013 puisque les plus beaux événements sont ceux qui ont été appropriés par le public.

 

Pour ce qui est de la programmation autour des expositions (cycles de cinéma, conférences, débats, concerts…), pensez-vous continuer dans la voie, très dense, empruntée l’an passé ?
Même si cette programmation a peut-être été un peu trop dense, il faut tenir bon sur le côté réactif du MuCEM. Thierry Fabre, qui s’en occupe très bien, a déjà commencé à modifier la saison 2. C’est un point très important car certains sujets ont besoin de ce soutien pour s’exprimer pleinement, il faut juste trouver la bonne insertion. Je crois que l’on attend du MuCEM qu’il soit un lieu de réflexion critique sur les civilisations méditerranéennes. D’autres le font bien sûr, mais la capacité du MuCEM et son statut de musée d’Etat lui permettent d’aborder de nombreux sujets, notamment ceux qui fâchent.

 

A l’ouverture du MuCEM, il y a justement eu une polémique au sujet de l’exposition Au Bazar du Genre et, plus récemment, l’exposition sur Odessa a dû être annulée. Est-ce que des réactions négatives pourraient, à l’avenir, empêcher la mise en place d’événements ?
Pour ce qui est d’Odessa, c’est extrêmement simple et regrettable, mais ce n’est pas dû à une pression politique quelconque. L’exposition a été maintenue le plus longtemps possible par mon prédécesseur jusqu’au moment où nous avons dû nous résoudre à l’annuler pour des questions d’organisation et de sécurité des œuvres. Nombres d’entre elles venaient d’Ukraine et les transporteurs et les assureurs se sont montrés plutôt réticents vis-à-vis de la situation du pays. Nous avons tout de même maintenu la partie autour de l’exposition avec cinéma et spectacles, qui à l’évidence ne posait pas le même problème. Nous gardons l’exposition en tête mais du fait de la situation en Ukraine, il est clair que nous ne pourrons pas la remettre au programme avant un moment.
En ce qui concerne les éventuelles critiques, cela n’empêchera rien. L’année prochaine, nous allons d’ailleurs proposer Lieux saints partagés. Le titre est presque banal et pourtant, l’exposition soulève des questions épineuses et d’actualité qui risquent de faire grincer quelques dents.
Nous n’avons pas pour objectif de lisser l’histoire de la Méditerranée en ne parlant que de sujets simples. Ce qui est d’ailleurs assez difficile à trouver sur notre territoire ! La Méditerranée est passionnante et comme tout sujet passionnant, elle est difficile aussi.
Jusque-là, le MuCEM ne s’est jamais autocensuré et je ne serai pas le premier à le faire. On n’attend pas ça de nous. Nous sommes conscients que l’on pourra certainement avoir des « crises » dans le futur avec des pays qui ne seront pas contents de l’image que nous montrons. Nous avons déjà eu le cas lorsque nous avons montré les émeutes à Athènes. Ce qui ne nous empêche pas de programmer l’exposition d’un artiste grec contemporain dans laquelle il montre, entre autres, la paupérisation de la population.
Je pense que le MuCEM est très attendu là-dessus. On n’y va pas pour regarder des paysages classiques. Il ne s’agit pas d’être provocant, mais de donner des références, des points de repères.

 

La culture est en manque de budget en ce moment ; le MuCEM a-t-il été épargné ?
Le MuCEM est touché car le budget de l’Etat est un budget en difficulté. Mais le ministère a accepté de maintenir notre subvention pour 2014, ce qui, dans le contexte actuel, est une bonne nouvelle, même si on aimerait pouvoir en faire plus. A nous d’essayer de garder les mêmes missions pour un montant identique, ce qui n’est pas simple puisque les dépenses, elles, augmentent toujours un peu. A nous aussi de développer nos recettes, bien que nous souhaitions garder le même prix d’entrée pour 2015. Je pense que dans une ville plutôt pauvre comme Marseille, un tarif correct est une nécessité.
Nous allons également essayer de développer des partenariats et des coproductions. C’est un plus à la fois d’un point de vue budgétaire et culturel.

 

En parlant partenariat, le musée envisage-t-il de sortir de ses murs pour mettre en place des évènements à l’étranger, à l’instar de l’I2MP (installé au MuCEM, l’Institut méditerranéen des Métiers du Patrimoine permet de croiser les connaissances de professionnel des différents pays de la Méditerranée) ?
C’était dans l’idée du MuCEM. Si ça n’a pas été fait, c’est parce que la priorité à l’époque était d’ouvrir en temps et en heure. Aujourd’hui, nous avons passé cette phase et l’image du MuCEM à l’international étant forte, nous devons en profiter pour mettre en place des coopérations. C’est quelque chose de très important, mais il va falloir quelques années de travail pour développer notre réseau car l’organisation et les interlocuteurs diffèrent en fonction des expositions que l’on souhaite partager. Même si la bonne réputation du musée nous amène déjà des contacts. Les professionnels ont aujourd’hui la possibilité de prendre un peu plus conscience des moyens du musée et de nos ambitions. Il y a des pays du Golfe et du Moyen Orient avec qui nous avons déjà quelques relations. C’est quelque chose de très complexe à mettre en place car il est non seulement question d’organisation, mais aussi d’affinités et de confiance. Il y a de nombreux sujets dans l’avenir qui, je l’espère, pourront profiter de ce nouveau réseau.

 

Le MuCEM accueille aussi, entre autres, les collections de l’ancien Musée des Arts et Traditions populaires et du Musée de l’Homme. Ces dernières vont-elles avoir une place plus importante lors de cette nouvelle saison ?
Nous sommes justement en train d’inventorier et de numériser ces collections afin de proposer une meilleure diffusion de ces quelques 150 000 objets.
Nous avons déjà utilisé des œuvres dans l’exposition permanente de la Galerie de la Méditerranée ainsi que dans des expositions temporaires, mais nous sommes conscients du défi que représente la valorisation de ces collections.
Nous ne pouvons de toute façon pas tout utiliser, même si nous savons bien que la face visible est tout de même encore trop discrète.
Il ne faut d’ailleurs pas oublier que nos réserves sont visibles à la Friche au Centre de Ressources et de Conservation.

 

De même, du côté Fort Saint Jean, qui est davantage dédié au contemporain, certaines salles ne sont pas accessibles… Cela va-t-il évoluer ?
Ces salles sont encore fermées aujourd’hui pour des problèmes de température et d’hydrométrie. Nous avons commandé une étude afin de connaitre les différentes hypothèses et scénarios possibles. En fonction des résultats, il y a plusieurs solutions envisagées : la mise aux normes des salles par des travaux, des présentations adaptées aux spécificités de ces salles…
Nous sommes en ce moment en pleine concertation avec le maître d’ouvrage et d’ici quelques mois, nous devrions prendre une décision. Dans tous les cas, nous souhaitons trouver une solution pour utiliser ces salles car elles font parties intégrantes du MuCEM.

 

Le MuCEM a dépassé toutes les espérances en termes de fréquentations. Mais il existe des disparités à la fois en termes de population et de visites : seuls 30 % des visiteurs viennent pour les expositions. Ce sont des points sur lesquels vous souhaitez travailler ?
30 %, ce n’est pas traumatisant car comme vous l’avez dit, les prévisions ont été totalement dépassées. Quant au bâtiment, il est tout aussi intéressant et culturel que les expositions elles-mêmes, sans compter toute l’histoire du Fort Saint Jean. Je ne suis pas d’accord avec ce que j’ai pu lire sur ces deux types de publics, celui des expositions et celui de l’architecture. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise fréquentation, ni de hiérarchie dans la manière de visiter le MuCEM.
Concernant le type de population, même s’il y a des facteurs géographiques et financiers, on va à l’encontre des idées reçues : 15 % de notre fréquentation provient des habitants des quartiers nord. Cela représente 30 000 personnes : je trouve que c’est un bon début et nous allons continuer dans cette voie avec une politique plus volontariste. On sait qu’il n’y a pas de solution miracle, donc on va travailler davantage avec les écoles et les centres sociaux. Nous ne nous définissons pas comme le musée des « beaux quartiers ».

Propos recueillis par Aileen Orain

 

MuCEM (Esplanade du J4, 2e).
Rens. 04 84 35 13 13 / www.mucem.org
Centre de Conservation et de Ressources du MuCEM : 1 rue Clovis Hugues, 3e