Yes Is A Pleasant Country

Jazz In Arles

Bleus de trouvailles

 

La cité rhodanienne renoue avec le festival printanier Jazz in Arles à plein régime, en programmant de l’« improvisade » pointue et du swing exigeant du 10 au 21 mai. Un îlot de liberté teinté de notes bleues, en ces temps où d’aucuns voudraient ripoliner notre Provence en brun…

 

 

On sait les engagements du bon côté de la barricade des tenants d’un jazz libéré des carcans des grilles harmoniques et autres codes souvent teintés d’un certain dogmatisme. Ainsi du trio Jazz Expérience au sein duquel officient les utopistes du Kami Octet, ici réduit à sa plus simple expression : le guitariste Pascal Charrier, accompagné notamment par la redoutable Leïla Soldevilla à la contrebasse, est un empêcheur de tourner en jazz qui n’ignore pas grand-chose des luttes pour un autre monde. Idem des membres du collectif Pronto !, dont la plupart sont au fait de ces dernières, et sont nantis d’un sens musical sans pareil, partisans d’une émancipation des sens et des sons (ainsi du fin mélodiste qu’est le batteur Christophe Marguet, de la contrebassiste Hélène Labarrière, du pianiste marseillais Bruno Angelini…), et passeurs conscients des mobilisations pour un autre futur.

On se languit de retrouver Jeanne Added qui, elle, avait participé au concert Protest Songs au Théâtre Antique il y a deux ans : ici aux côtés notamment du sémillant saxophoniste Vincent Lê-Quang et du pianiste Bruno Ruder dans le trio Yes Is A Pleasant Country, elle retournera à ses premières amours jazz à partir du répertoire de Duke Ellington et Billy Strayhorn, non sans le bousculer en s’inspirant de la poésie déconstruite et populaire d’E. E. Cummings.

Question improvisade poétique, on pourra aussi se délecter du duo Federico Casagrande (guitare) – Nicolas Grande (contrebasse) au Musée de l’Arles Antique : deux virtuoses en conversation libre dans un espace de mémoire nous rappelant la fragilité des civilisations et leur nécessaire ouverture à l’autre. L’immense contrebassiste Claude Tchamitchian sera de la partie, avec cet exercice du solo qu’il se plaît à délivrer, libérant son instrument de sa relégation à sa fonction accompagnatrice et, par la même, lui conférant des propriétés révolutionnaires.

N’empêche que cette édition 2022 de Jazz In Arles convie également des formations qui, loin d’ignorer les ressorts poétiques de l’improvisation, n’en sont pas moins nourries aux pulsations élémentaires du swing le plus débridé. La présence du trio emmené par le pianiste Jeb Patton, talentueux bopper, prouve que les organisateurs ont à cœur de continuer à défendre l’authenticité des notes bleues et du swing, dont l’origine dans la sinistre diaspora africaine aux Amériques n’est plus à prouver. Gageons que la présence du trompettiste rappeur Théo Croker aux côtés du doux-dingue Émile Parisien, pour son nouveau projet, Louise (non, pas Michel, faut pas pousser quand même), poussera le groupe dans les méandres d’un groove décomplexé, revendicatif et universel.

Enfin, pour libérer les consciences de l’aliénation consumériste, rien de mieux qu’un bain de bop avec le quartet de la saxophoniste Géraldine Laurent, instrumentiste d’exception et maîtresse femme qui a su se faire plus qu’un nom dans un univers trop souvent machiste.

 

Laurent Dussutour

 

Jazz In Arles, du 10 au 21/05 à Arles.

Rens. : https://lemejan.com

Le programme complet de Jazz in Arles ici