Guillaume Séguron © Michael Parque

* JAZZ * Guillaume Séguron

L’Interview
Guillaume Séguron

 

La rondeur des notes bleues s’échappe de la contrebasse de Guillaume Séguron, offrant un écrin aux douloureuses réminiscences de la guerre d’Espagne. Entretien avec un Nîmois dans les pas de Charlie Haden (1) , comme un écho à toutes les résistances.

 

Quels sont les atouts et les contraintes de la contrebasse en solo ?
Il me semble que quel que soit l’instrument, il est indispensable, à un certain moment, de savoir ce que l’on va en faire, et pour qui. En d’autres termes, qui l’on « est » et au travers « de quoi » on s’exprime. C’est moins un point de vue de musicien que d’artiste. Le solo permet un face-à-face, mais il en est de même pour un compositeur qui se pointe avec sa partition devant trente instrumentistes. C’est la même solitude. Quant aux contraintes, je suis libre de me les imposer.

 

En quoi des compositions purement instrumentales ont-elles une résonance historique ?
Chaque partie du script correspond à une vision très claire. Je superpose, confronte parfois plusieurs points de vue, plusieurs histoires individuelles ou collectives. Sans distinction entre les histoires, avec ou sans un grand H, j’interroge aussi ma propre mémoire, la proximité des langues au-delà des frontières. Enfin, j’essaie d’être attentif à mes intuitions. Je n’ai rien prémédité. A l’origine, c’était une commande pour la série de documentaires radiophoniques Mémoires des Républicains espagnols en Languedoc-Roussillon. Il m’avait été demandé d’être seul. N’ayant pas d’attaches affectives avec la guerre d’Espagne, je me suis efforcé de trouver ce qui me reliait à cette guerre. J’ai trouvé énormément de ramifications, dont certaines qui existent depuis bien longtemps. Je me suis composé un parcours, une sorte de puzzle à partir des œuvres d’artistes qui ont pris position contre la disparition de cette république.

 

Qu’en est-il de tes engagements mémoriels ?
Tout ce que je fais est relié à une activité de la mémoire. La mémoire — que ce soit la mienne  ou celles que je collecte — est LE sujet que je traite en tant qu’artiste. Puis, il y a le temps qui est son support. Avec ses trous de mémoire — blancs ou noirs, comme on veut — que l’on doit combler. Dans tous les cas, on s’adresse toujours à quelqu’un. C’est à cet « inconnu » que je m’adresse d’abord.

 

Les enseignements que tu tires du passé sont-ils aussi des messages pour le présent ?
Je ne suis porteur d’aucun message, ce n’est pas mon job. Rendre présent le passé, c’est cela dont il est question. C’est ce que nous faisons tous, non ? Ce que j’essaie de transmettre, c’est moins un sujet qu’une énergie, une attitude face à la recherche, à l’imaginaire. Plus on cherche, plus la vérité s’éloigne mais plus on devient libre. La vérité ne dure jamais très longtemps, il y en a toujours une qui vient remplacer la précédente. Et tant mieux. Les faits historiques sont là avec leur froideur et ils nous regardent. Je ne baisse pas les yeux. Le merveilleux appartient aux songes, aux rêves et à l’abstraction. Et l’imaginaire est abstrait. C’est le propre du génie humain que de fabriquer des abstractions. La musique est l’art abstrait par excellence. La recherche n’est pas et ne doit pas être une donnée quantifiable. Le présent ? Juste se débrouiller pour être encore un peu là demain. C’est un peu ce que j’ai appris dans ce travail mémoriel. Mes pensées vont vers ceux qui montaient la garde.

 

Le créneau des musiques improvisées n’est-il pas une niche élitiste d’un jazz qui lui-même n’est guère populaire ?
Non ! Et il me semble que l’élitisme qui est sous-entendu ici repose sur la fainéantise et le refus orgueilleux des incultes. En disant cela, je suis vraiment dans le sujet que je traite avec Nouvelles Réponses des Archives. Et pour préciser ma pensée et revenir vers la guerre civile espagnole : ce n’est pas parce que la « majorité » gagne qu’elle a raison.

 Laurent Dussutour

Guillaume Séguron : le 15/03 à la Médiathèque Nelson Mandela (Gardanne).
Rens. 04 42 51 15 57

Dans les bacs : Nouvelles Réponses des Archives (Rude Awakening)

 

Notes
  1. Leader du Liberation Music Orchestra, qui insuffla du jazz dans les chants républicains espagnols[]