Ici Nougaro : Gregory Montel Lionel Suarez Charif Ghatas

L’entretien | Grégory Montel

Bien sûr, la caisse de résonance télévisuelle a permis au plus grand nombre d’embrasser le talent de l’acteur Grégory Montel, avec la série à succès Dix pour cent. Mais cet artiste d’une rare finesse de jeux, originaire du Sud-Est, creuse depuis un moment déjà, avec sensibilité et intelligence de choix, un sillon remarquable au sein du cinéma hexagonal, comme en témoignent ses derniers films, de Chère Léa à Libre Garance !

Parallèlement, nous le retrouvons sur la scène du Théâtre des Bernardines jusqu’au 28 janvier, dans le spectacle musical Ici Nougaro.

 

 

Vous officiez dans des registres de jeux bien différents, du théâtre au cinéma, en passant par la télévision. Ce sont des dispositifs de restitutions distincts. Dans votre approche des écritures proposées, y faites-vous une distinction dans le geste de l’acteur ?

Il y a évidemment une distinction à faire. Entre cinéma et télévision, si les choses sont très proches, le rythme est différent. Il me semble que la télévision s’axe sur un jeu plus naturaliste, alors que le cinéma ouvre d’autres perspectives selon les cinéastes, comme avec Serge Bozon ou Jérôme Bonnel. En revanche, lorsque l’on prend en charge le geste théâtral, l’approche est ailleurs. C’est d’ailleurs ce qui peut me terrifier, cette prise en charge de la parole. Une parole qu’il faut, de manière déjà basique, diffuser, dans un tel dispositif, afin de faire passer un texte, vocalement. Voire intégralement dans sa fonction poétique. Il y a donc bien une forme d’adaptation pour moi. C’est d’ailleurs ce qui m’intéresse particulièrement, essayer de mêler toutes ces formes, que j’ai eu la chance de tester. Dans mon expérience, le cinéma peut parfois interdire une forme de naturalisme. Au théâtre, délivrer une parole poétique dans une forme intime, je trouve cela délicieux. Par exemple, dans le spectacle Ici Nougaro, il a été décidé de me sonoriser. Pas seulement pour passer par-dessus l’accordéon, mais pour aussi pouvoir porter cette parole dans un champ plus intime. J’élargis ainsi un spectre d’interprétation qui m’intéresse.

 

Peut-on évoquer d’ailleurs la genèse de ce projet ?

Ah… ce sont de vieilles rencontres ! D’abord celle avec le metteur en scène Charif Ghattas. Une rencontre qui fut prépondérante pour moi, vers 2003, au moment où je terminais ma formation théâtrale. On a immédiatement travaillé ensemble, à partir de ses textes, c’était là ma première collaboration. Et c’est sur l’une de ses pièces, Du vice à la racine, que j’ai pu rencontrer mon agent Dominique Besnehard, qui m’a alors permis de travailler dans ce métier, m’a beaucoup aidé, a cru en moi. Ces rencontres furent prépondérantes. Après, il y a la rencontre, aussi, avec Lionel Suarez, un musicien absolument génial. L’idée a donc germé de se réunir tous les trois pour construire ce spectacle autour de Claude Nougaro, dont je suis un grand fan. Lionel avait d’ailleurs travaillé avec lui. Et pour ma part, je voulais en parler, c’était comme une urgence. Nougaro compte beaucoup pour moi. Outre sa parole, sa poésie, c’est aussi le personnage qui m’habite, son accent, son aspect terrien, presque animal. Mes potes, à Digne, m’appelaient toujours le petit sanglier, et lui, c’était le petit taureau. Il y avait donc ces convergences : un chemin s’est ainsi fait, qui a fini par produire ce que l’on propose aujourd’hui sur la scène des Bernardines.

 

En parlant de Digne-les-Bains, dont vous êtes originaire, vous y êtes également investi dans la diffusion de manifestations culturelles…

Oui, j’ai racheté en fait l’ancien cinéma de Digne, en créant une structure associative, afin d’en faire un lieu hybride, un lieu de théâtre, de musique, de cinéma, voire de formation ou de réinsertion. On l’a appelé le Projet Top, sur lequel on travaille depuis un moment. Un lieu de vie dans la ville de Dignes. On a parallèlement créé le festival Au Top, mêlant théâtre, musique et propositions artistiques diverses, tout cela lors d’une seule journée. Je pense entre autres à la venue d’artistes comme Keren Ann ou Irène Jacob. En attendant l’ouverture de ce lieu, on multiplie les propositions hors les murs.

 

Entre Marseille et Martigues s’ouvre la perspective d’un énorme pôle cinématographique, aux ambitions européennes. Studios de tournages, écoles, infrastructures… Quel regard portez-vous sur cette décentralisation en cours d’une industrie souvent concentrée dans la capitale ?

Oui, j’ai rencontré Olivier Marchetti des Studios de Provence, à Martigues, qui est un sacré bonhomme ! Je me rappelle ce que disait Tom McCarthy en arrivant à Marseille pour tourner, il y a vu une lumière folle. J’ai également rencontré Anna Winger, qui me rappelait la capacité assez incroyable de ce territoire à accueillir les tournages. Il est vrai, par ailleurs, qu’à Paris, il devient bien difficile de tourner en extérieur. Après, je crois que Marseille, où je suis venu me réinstaller, a une relation assez étrange avec son cinéma. J’ai forcément très envie d’y croire, mais plus que n’importe où ailleurs, c’est en associant le public que l’on parviendra à imprimer fortement, afin de ne pas se retrouver avec quelque chose de prémâché directement descendu de Paris. Comme ce qu’il se passe au sein du projet martégal, il est important que cela parte de gens qui connaissent parfaitement le territoire, qui y sont investis.

 

Vous aviez réalisé le court-métrage Les Chiens aboient, le passage au long métrage vous semble-t-il une étape naturelle à venir ?

Il y a une envie, c’est certain. Je suis certes suivi par des producteurs. Mais je pars du principe qu’on fait quelque chose à un moment où celle-ci devient réellement urgente. Il est nécessaire d’avoir cette urgence si l’on veut raconter une histoire. Lorsque l’on m’a proposé ce court, j’avais immédiatement dit oui, car voilà, il y avait urgence. Je me méfie quelque peu de ces cinéastes, même si je les apprécie beaucoup, qui font un film par an, où je sens que les réalisateurs eux-mêmes sont fatigués, que leurs sujets s’épuisent. Les films ont du mal à tenir sur la longueur. Seule reste l’urgence, absolument nécessaire.

 

Propos recueillis par Emmanuel Vigne

 

Ici Nougaro : jusqu’au 28/01 au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er).

Rens. : 08 2013 2013 / www.lestheatres.net