Identités remarquables - Serge Valletti

Identités remarquables – Serge Valletti

Le beau Serge

En presque quarante ans de carrière, Serge Valletti aura exploré tous les champs des possibles de la scène. A l’occasion de la création de Cahin-Caha au Lenche, retour sur un parcours haut en couleurs et une vie entièrement dévouée au théâtre.

On retrouve notre homme enchaînant les mini-cigares sur la terrasse d’un café à deux pas du Théâtre de Lenche, où il mène d’une main de maître les répétitions de sa nouvelle création, Cahin-Caha. A une photographe de Télérama qui lui annonce que les clichés pris la veille — « trop graves » — n’ont pas plu à la rédaction de l’hebdo culturel, il rétorque : « Ah ben, il faut qu’ils changent de métier parce que c’est pas moi qui vais changer. » N’y voyons pas une quelconque forme de prétention, juste l’expression d’un auteur qui dit les mots comme ils lui viennent. Cash. Dès la première question, Serge Valletti déroule d’ailleurs sans s’arrêter le fil d’une vie entièrement consacrée au théâtre — à commencer par sa passion précoce pour l’écriture. Dès l’âge de sept ans, il se met en effet à écrire des histoires de charlots, pour faire comme papa : « Mon père écrivait des romans policiers. Je pense que s’il avait été charcutier, j’aurais fait de la charcuterie… Ça me semblait normal de mettre une page blanche dans une machine à écrire, de la ressortir noircie et de gagner sa vie avec ça. »
Vite happé par la scène (« Quand j’étais scout, on m’a mis sur scène et j’ai su que c’est là que je voulais être. J’étais bon ! »), Valletti ne s’éternise pas au lycée, préférant fouler les planches marseillaises (Massalia, Mazenod, Gymnase…) avec un cabaret concocté par son groupe, Les Immondices (sic). Il y fait la connaissance de tout ce que Marseille compte de « théâtreux », d’Antoine Bourseiller à Maurice Vinçon en passant par Richard Martin.
Sans oublier Daniel Mesguich, dont la rencontre s’avérera déterminante : « A sa sortie du Conservatoire en 73, je suis monté le rejoindre à Paris. J’ai écrit une pièce, une comédie de travestis (rires), qu’on jouait à deux dans les cafés-théâtres. C’est avec Daniel que j’ai vraiment appris mon métier de comédien. Ça a tout de suite marché très fort : en trois ans, on a fait douze spectacles, joué les plus grands textes : Shakespeare, Racine, Marivaux… »
En 1976, l’envie d’écrire le démange à nouveau : il livre une série de duos qu’il jouera avec Jacqueline Darrigade au Off d’Avignon pendant quatre ans d’affilée. Puis vient l’heure du premier solo, Balle perdue, en 1981, joué à la lueur d’une bougie, devant deux spectateurs : « J’ai aménagé une cave en petit théâtre pour répéter le spectacle et le montrer aux programmateurs. Les premières personnes qui l’ont vu le trouvaient bien comme ça. J’ai eu des articles dans les journaux et petit à petit, des gens que je ne connaissais pas du tout sont venus. Je leur donnais rendez-vous dans un bar, je jouais à l’heure qu’ils voulaient. C’était un petit théâtre privé, complètement clandestin. La concierge n’était pas au courant, elle se demandait pourquoi je retrouvais des inconnus dans des bars qui me payaient pour aller dans ma cave. Ça a fait jaser dans le quartier ! » Six mois et une subvention plus tard, Valletti fait l’ouverture du Théâtre de l’Athénée, dévolu aux jeunes compagnies, réalisant son but de jouer son solo dans un « vrai théâtre » devant une centaine de spectateurs. S’il prétend n’avoir connu que des périodes de vaches maigres, les événements s’enchaînent plutôt vite (et bien) pour lui : cinéma (il signe, entre autres, aux côtés de Jean-Louis Comolli, l’adaptation d’un roman de la Série Noire, Mince de pince de Clarence Weff, qui n’est autre que son père), radio, télé, théâtre… Valletti est sur tous les fronts. Infatigable. Passionné par la scène, le « jeu ». S’amusant de la polysémie du mot, il déclare d’ailleurs aimer « jouer très sérieusement. Le plus sérieusement possible. »

« Je fais du théâtre pour aller au restaurant la nuit. »

Devenu auteur « par la force des choses » — lui qui ne noircissait des pages que pour se retrouver sur scène et ainsi « aller au restaurant la nuit » (rires) —, il écrit de plus en plus, joue de moins en moins. C’est ainsi qu’en presque quarante ans de carrière, Valletti aura écrit près de soixante pièces et deux romans — Comment j’ai jeté ma grand-mère dans le Vieux Port (« C’est vrai. J’ai jeté ses cendres ! »), qui l’identifiera comme « auteur marseillais », et Et puis quand le jour s’est levé, je me suis endormie. Peut-être le seul de ses textes où Valletti se dévoile — un peu — à travers ce personnage de comédienne montée à Paris pour faire du théâtre. S’il se montre volubile pour tout ce qui touche à son expérience théâtrale, l’auteur se fait en effet plus discret quand il s’agit de se raconter. Et pourtant, s’il est venu à la littérature (tard, vers trente ans), c’est notamment par le biais de journaux intimes, comme ceux de Matthieu Galey ou d’Hervé Guibert. Mais pas question pour lui de suivre cette voie : « Je trouve ça très déprimant. Pour moi, ça revient un peu à rater sa vie. Ecrire ce qu’on est en train de vivre, ça tue, au sens propre du terme ! » Mais alors, d’où lui viennent toutes ces idées, tous les personnages qui peuplent ses pièces ? « J’ai pas mal écrit sur commande, Saint-Elvis ou Monsieur Armand dit Garrincha (1) par exemple. Sinon, tout me nourrit. J’aime bien aller au restaurant seul par exemple, pour écouter ce que les gens disent. Avec une seule phrase, on peut construire la vie de quelqu’un. » Notre homme serait-il donc un comédien exhibitionniste doublé d’un écrivain voyeur ? Loin de nier cette ambivalence, Docteur Serge et Mister Valletti la revendique : « En tant qu’auteur, on est fixé sur soi, on s’enferme. Ce n’est pas flamboyant comme un acteur, qui a besoin de sortir. Du coup, si je fais trop l’acteur, je deviens un peu futile et si j’écris trop, je suis un peu triste. L’idéal, c’est d’arriver à combiner les deux. Pendant longtemps, j’ai réussi à trouver un équilibre. Maintenant, écrire des pièces, ça me satisfait… parce que ça marche. » Pour marcher, ça marche ! Publiés dès 1988 par Christian Bourgeois, ses textes ont fait l’objet de nombreuses adaptations, partout en France. Rien qu’à Marseille ces temps-ci, les amateurs de sa truculente prose s’en donnent à cœur joie : après Réception joué en octobre au Toursky par Jean-Claude Dreyfus et Claire Nebout, son complice Christian Mazzuchini reprendra le loufoque Jésus de Marseille à la Minoterie en décembre, avant que Michel Didym ne crée Le jour se lève, Léopold ! au Gymnase en janvier. En attendant, Valletti reprend l’habit de metteur en scène pour le schizophrène Cahin-Caha au Lenche, une casquette qu’il ne revêt que rarement : « Je le fais pour l’exception, pour toucher l’exceptionnel, affirme-t-il dans un clin d’œil, très pince-sans-rire. Et puis j’aime bien Jean-François et Bernard (ndlr : Regazzi et Destouches, les acteurs de la pièce). Et j’aime cet endroit. J’avais envie. » Une question d’envie, de passion. Encore !

Texte : CC
Photo : Serge Alvarez


Cahin-Caha
: du 11 au 22/11 au Théâtre de Lenche. Rens. 04 91 91 52 22

Notes
  1. Une pièce où s’entremêlent l’histoire du légendaire footballeur brésilien Garrincha et celle de l’oncle de Valletti, Armand Bédarrides, premier joueur de l’OM à avoir marqué un but au Stade Vélodrome.[]