Marien Guillé © NatFletcher

Identités remarquables | Marien Guillé pour Import / Export au Théâtre Strapontin

Le conte est bon

 

Marien Guillé est poète. C’est comme cela qu’il tient à se présenter.

 

« Poète de proximité », ajoute-t-il. Une dénomination murie avec les ans et l’expérience. Poète, amateur de mots et adepte d’une parole libre, Marien se souvient l’avoir été depuis toujours. « Dès le collège, lorsque mes camarades me demandaient ce que je faisais avec tous ces mots et ces poèmes, je leur disais que j’étais poète. » Une revendication forte et sincère de cette adhésion aux mots, de cet ancrage naturel de la parole dans les choses ne faiblit pas. Pourtant, le titre de poète déclenche les quolibets, la suspicion d’une prétention, d’une affectation. Alors qu’il jubile de la puissance des mots, Marien se voit relégué au fond d’une tour d’ivoire un peu louche. De cette expérience de rejet naîtra l’envie de convaincre chacun de la proximité évidente et nécessaire des mots aux choses : « L’écriture doit se placer dans la vie. »
Puis Marien poursuit des études littéraires, se spécialise en théâtre, débute sur scène. Ateliers, compagnies amateurs, expériences multiples. En parallèle, il maintient son cap, distille de la poésie, diffuse des poèmes au plus près, envahit les rues, les lieux, récite, lit, invente. A travers les Poétik shows, les Brigades d’intervention poétique, les stand up poétiques… il clame en douceur que tout peut se faire poésie, que chacun peut retrouver une proximité à la langue, découvrir sa parole. Refus de laisser la poésie givrer dans un entre-soi du milieu poétique qui se rassemble à chaque colloque, volonté d’aller chercher une poésie des recoins.
Marien se fait passeur. Formé à l’animation d’ateliers d’écriture, il se consacre à la diffusion des productions émises lors de ces mêmes ateliers. Les gens écrivent et Marien use de cette matière, la modèle et s’en sert comme unique support de spectacles vivants. Des mélodies simples, sans prétention, qui peuvent à elles seules constituer un propos. Le succès arrive et, avec, la reconnaissance de ses pairs. Des auteurs font désormais appel à lui pour mettre en scène leurs textes…
Mais, naturellement, Marien va aller chercher ailleurs. D’abord, il se forme au conte et passe quelques mois en Afrique à apprendre l’art du conte et son oralité. Expérience initiatique, l’épisode le conforte dans l’idée d’un théâtre poétique, global, narratif. Lors de ses spectacles, on le voit d’ailleurs « invoquer » l’histoire, la héler à la manière africaine pour la faire venir à lui, comme un maïeuticien fait venir la parole lors de ses ateliers. Puis vient le temps de l’exil, Singapour, l’Inde et la recherche de l’origine… A Singapour, Marien est approché par un journal local francophone. Il flâne, il erre dans la ville. Alors que ses lecteurs locaux vivent dans la rapidité et le pragmatisme, lui cherche les impasses, les détails et fait s’étirer le temps. Un contact se crée avec ce public qui, chaque semaine, redécouvre grâce à lui une ville enfouie et s’en réjouit.
Exilé, Marien entame une correspondance avec ses amis et proches. Une correspondance poétique ? « Au départ, j’écrivais des faits, des choses sans grand intérêt, simplement pour expliquer où j’en étais. Mais cela a eu un effet inattendu, les gens à qui j’écrivais se sont mis à me renvoyer en écho leurs expériences, leurs souvenirs, leurs ressentis face à des aventures similaires. » Marien accomplit ce qu’il a toujours souhaité : provoquer la parole. Et, comme si cette mission accomplie s’achevait ainsi, il entre enfin dans son propre parcours. L’Inde, pays d’un père jamais connu, identité subie, incarnée et pourtant étrangère. « En Inde, on s’adressait à moi naturellement, et je ne comprenais rien à cette parole-là. »
Marien se lance dans la recherche de cette partie de lui, se rend en Inde, retrouve des membres de sa famille paternelle et vit une expérience bouleversante. Là encore, les échanges sont riches, les résonances continues. De retour, Marien décide de faire de ce voyage et de cette quête un spectacle. « Mais je ne voulais pas uniquement parler de moi, je ne voulais pas tomber dans le pathos, je voulais aller au plus près des gens. » Cette forme qui s’impose, c’est celle d’un spectacle de proximité. Marien décide de le jouer dans des lieux intimistes, en appartement. Import / Export représente un aboutissement dans l’écriture, la forme, l’authenticité. Il se délecte de ces ambiances feutrées, lui qui voulait être le poète de proximité a trouvé sa place. Cette proposition rencontre un succès immédiat, fulgurant. Le public est conquis, le spectacle vivant, drôle, émouvant, enlevé.
Et maintenant ? « Désormais, j’ai trouvé la réponse du public, l’enthousiasme, il ne me reste qu’à poursuivre mon travail de partage. » Et alors que Marien s’interroge encore sur les raisons d’un tel succès, alors qu’il intitule son atelier en cours « De l’estuaire à la source », l’évidence de son infinie générosité se confirme. Dans ce cheminement vers les autres, Marien aura mis un temps délicat à se tourner vers lui et, avec une candeur extrême, à réaliser que ce qu’il nous offre à voir est précieux.

Fanny Bernard

 

Import / Export de Marien Guillé : du 2 au 24/02 au Théâtre Strapontin (111 rue de l’Olivier, 5e).
Rens. : 06 49 61 04 69 / www.facebook.com/marien.guille