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Identités Remarquables | Cancan

Nus, au soleil

 

Avec la sortie de l’album Sun City sous le nom de groupe Cancan, John Deneuve et Fred Berthet signent une œuvre solaire et incontournable pour les amoureux de la pop électronique.

 

Sun City, c’est un travail de longue haleine, commencé il y a douze ans après une rencontre aux ateliers « seconde nature » de l’AMI. Le temps nécessaire pour construire patiemment une fiction sur le lâcher prise et poser des mots sur une sexualité ouverte à tous les fantasmes. Le synthétiseur analogique crée une identité qui nous emmène dans un film de John Carpenter, une bulle s’agrandit et crée un espace suave, où la douceur de la rythmique nous plonge dans une théâtralité des années 80. Là où le numérique offre tous les possibles dans une clarté du son sans égale, l’analogique convoque une nostalgie qui ranime le souvenir d’une rencontre, d’une main sur l’épaule, d’un souffle sur les paupières. La voix enfantine de John Deneuve déroule les désirs d’une femme dans sa relation aux autres. Sans tabous ni préjugés, l’espace s’ouvre sur le rapport homme / femme, femme / femme. Chaque partie du corps devient la fiction d’un échange sous les draps ou à l’air libre. Elle nous invite à nous laisser faire, à accepter cette main inquisitrice qui ne demande qu’à libérer les sens, dans un partage sans condition. Comment repenser la sexualité dans un monde du repli, où tout a déjà été dit ? Les rapports s’envisagent désormais par écran interposé, repoussant toujours plus loin l’appréhension d’une première rencontre. Le sexe est devenu violent par la banalisation des images pornographiques. Le puritanisme s’est emparé de l’actualité dans un show à l’américaine où l’adultère des célébrités devient une arme de destruction massive. Sun City est un désir du mélange des genres, reconstruisant patiemment une factory, où les différences deviennent une force. Un assemblage qui embrasse le pop art dans toute sa splendeur. Le second rôle et son image de série B devient un personnage central, parce qu’il donne son meilleur pour aller au bout du synopsis, parce qu’il nous emporte dans sa générosité et nous transmet une émotion que l’on reprend à notre compte dans une boule de neige sans fin. Prendre un bouquin, relever des mots et les réagencer, jusqu’à trouver une poésie de l’amour. Ne pas crier de revendications, mais laisser les choses s’agencer d’elle-même. S’il y a du féminisme dans Sun City, il est ouvert et décloisonné, il est open sexe. Sun City, c’est une villégiature aux États-Unis, où le soleil rayonne pour l’éternité, un endroit dessiné par l’homme et pour les retraités millionnaires. Une carte postale fabriquée de toute pièce, un rêve illusoire, une chaleur surannée. Là encore, la théâtralité s’exprime dans toute sa splendeur pour mieux éclairer les extrêmes. Dans ce rose bonbon et cette crème onctueuse légèrement trop sucrée, l’adulte redevenu enfant joue jusque tard le soir pour repousser indéfiniment une fin inexorable : vieillir est inévitable et grandir est facultatif. De ces dix morceaux, il ressort un déroulé fluide, où les rythmiques ouvrent des portes en douceur, nous aspirant dans de nouveaux espaces, tantôt alerte, tantôt hypnotisé dans un rêve d’amour à l’italienne, du désir d’une main sur une cuisse, du regard d’un singe devant ma nudité. La musique se pose dans des plans séquences qui invitent la voix à se poser dans une liberté de ton et d’humeur proche du déshabillé. On avale les kilomètres, on descend une vallée dans le silence des arbres, au loin la lumière plisse nos paupières. On ferme les yeux, on lâche les mains du volant dans un relâchement total. Le corps s’échappe et décolle, flottant en apesanteur, la nuque enrobée dans l’air frais d’une soirée qui promet.

 

Karim Grandi-Baupain

 

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