Tiff’Annie de Bruno Heitz

Identité Remarquable | Bruno Heitz pour Tiff’Annie, son polars en bande dessinée

Bandes destinées

 

Alors que paraît aux éditions Gallimard Tiff’Annie, le deuxième opus des Dessous de Saint-Saturnin, la nouvelle série de polars en bande dessinée de Bruno Heitz, rencontre avec son talentueux auteur dans son fief de Saint-Rémy-de-Provence.

 

 

Bruno Heitz

Casquette vissée sur le crâne, Bruno Heitz arrive en vélo à notre rendez-vous devant l’Office de tourisme de Saint-Rémy, l’air bonhomme de ses personnages mais avec l’œil malicieux de ses récits, beaucoup moins innocents qu’ils n’y paraissent. Après avoir raconté comment il a atterri à Saint-Rémy, pour suivre sa femme, il y a plus de trente ans déjà, Bruno nous emmène dans son « atelier bois » comme il aime à le nommer. Au départ garage pour ses vieilles voitures, cet espace lui sert aussi de deuxième atelier. C’est là qu’il réalise ses tirages en linogravure ainsi que ses bois découpés, avec démonstration de découpe à l’appui.

Mais c’est aussi là que Bruno entrepose tous ses originaux, du moins ceux qui lui restent, car il a entrepris depuis quelques mois de faire, à soixante-cinq ans, des donations de son travail à deux médiathèques, en partie motivé par le décès de l’auteur de BD Jean-Pierre Autheman, son grand ami arlésien, dont la plupart des originaux ont été détruits à sa mort.

La visite continue par son autre atelier, celui qui se trouve chez lui, une charmante maison dans les hauteurs de Saint-Rémy. L’occasion d’évoquer tout son parcours, en commençant par son arrivée à Arles à vélo en plein mois de janvier alors que, tout juste majeur, il quitte Paris et un avenir tout tracé dans l’Éducation nationale, comme pour ses sept autres frères et sœurs ainsi que son père, un grand universitaire. « Je ne voulais surtout pas devenir prof de dessin en collège, ce pauvre type en blouse blanche sur lequel on jette des gommes. Un truc à te couper toute envie de dessiner ! »

Alors qu’au départ il voulait aller jusqu’en Italie, émerveillé par la lumière et fasciné par les tableaux de paysages que Van Gogh a réalisés dans la région, Bruno Heitz se fixe à Arles.

Après de nombreux petits boulots et tout en continuant à exécuter dessins et peintures qu’il vend au marché d’Arles, tout s’accélère quand il fait la connaissance du photographe arlésien Lucien Clergue, celui-là même qui a lancé en 1968 les Rencontres internationales de la Photographie. « Je repiquais ses photos noir et blanc. Maintenant les gens font ça sur ordinateur, mais avant on faisait ça à même le papier photo. Pour certains tirages, cela pouvait prendre des heures. »

Grâce au photographe et à ses nombreuses relations, Bruno Heitz va travailler pour le quotidien local Le Provençal et publier ses premiers ouvrages pour la jeunesse, d’abord chez de petits éditeurs régionaux, puis très vite pour la plupart des principaux éditeurs du secteur, avec une curiosité qui lui fait expérimenter de nouvelles techniques constamment, réalisant ses ouvrages tantôt en linogravure, tantôt avec des bois peints ou des papiers découpés.

 

Un auteur de BD atypique

Sous la houlette de Jacques Binsztok, alors éditeur au Seuil, Bruno Heitz s’essaie en 1995 à la bande dessinée dans une collection d’ouvrages en noir et blanc au petit format et une pagination dépassant les cent pages.

« Il se trouve que j’avais un projet qui s’appelait Boucherie Charcuterie même combat. Je me suis dit que ce serait parfait pour cette collection… mais ça a été un flop ! Binsztok ne s’est pas découragé pour autant. »

Il imagine alors le personnage d’Hubert dans Un privé à la cambrousse, qui profite de son emploi d’épicier ambulant pour mener des enquêtes dans une région rurale qui n’est pas sans rappeler les Alpilles, que Bruno Heitz connaît bien car il aime se nourrir de ce qui l’entoure. « Pour la première image du Privé à la cambrousse, j’ai dessiné une des chambres de l’étage de la maison que j’habite, j’ai fait un zoom et de là j’ai démarré l’histoire d’un personnage qui y habitait avec son frère. »

Alors que l’histoire ne devait pas avoir de suite, Bruno Heitz reprend, sur les conseils de son éditeur, son personnage dans Une magouille pas ordinaire. Suivront sept autres ouvrages jusqu’en 2005, toujours dans ce même univers rural et ces années 1960 qu’il affectionne.

Après avoir signé aux éditions Gallimard quatre enquêtes avec Jean-Paul, un personnage proche d’Hubert, toujours dans la France de l’après-Guerre si ce n’est que l’auteur s’appuie cette fois-ci sur des événements réels comme l’attentat raté contre De Gaulle à Clamart, et des BD plus didactiques sur l’histoire de France chez Casterman jeunesse, Bruno Heitz revient aux ambiances polar ainsi qu’au format et au noir et blanc d’Un privé à la cambrousse avec Les Dessous de Saint-Saturnin, une nouvelle série qui se déroule dans une petite bourgade où l’on suit des histoires de voisinage parfois sordides. Un premier tome, Le Bistrot d’Émile, paraît en 2021 chez Gallimard, et le deuxième volume intitulé Tiff’Annie en ce mois de juin. « C’est l’éditeur qui a eu l’idée de partir sur les commerces pour le second tome. Donc j’ai fait une fausse couverture avec le salon de coiffure pour l’insérer à la fin du tome 1, mais je ne savais absolument pas ce qui allait se passer, si ce n’était que ça se déroulerait dans le salon de cette brave Annie qui intervient déjà dans le premier volume. »

Toujours avec son dessin faussement naïf mais d’une précision quasi documentaire, on y trouve aussi des dialogues truculents, dans lesquels l’auteur malaxe la langue populaire comme peu savent le faire. « Pour moi, l’écriture de la bande dessinée c’est surtout une écriture de dialogues. Je me sers de ce que j’entends quand j’écoute parler les gens, surtout qu’en général j’écris ça dans un bistrot. »

Et quand il nous donne à lire un roman noir qu’il a écrit il y a quelques années, pour une fois sans ses dessins qui atténuent souvent le côté sombre des histoires (roman qui devrait paraître dans les prochains mois toujours chez Gallimard dans la collection Sygne), on se délecte de découvrir en avant-première des intrigues que les anecdotes personnelles viennent enrichir, les rendant à leur noirceur malheureusement si profondément humaine.

Mais déjà il est l’heure de rentrer et d’interrompre cet entretien qu’on voudrait sans fin tant Bruno Heitz est intarissable en anecdotes et discours passionnant sur son parcours et sa façon de travailler. Promis, on viendra le revoir pour son prochain livre !

 

JP Soares

 

Dans les bacs : Tiff’Annie de Bruno Heitz (Gallimard)