Thomas Fourneau

Herself par la Cie La Paloma au Théâtre de la Joliette-Minoterie

L’Interview
Thomas Fourneau (Cie La Paloma)

« Herself commencera et finira sur un air de fête » : c’est sur ces mots que Thomas Fourneau achève la note d’intention de sa dernière création, à découvrir au Théâtre de la Joliette Minoterie.

 

Metteur en scène et vidéaste, Thomas Fourneau exprime ici sa vision de la féminité en réunissant cinq femmes sur un plateau. Tantôt appartement, tantôt night-club, la scène vibre au son des mélodies et des pas de danse. Les paroles intimes des interprètes se révèlent à la fois drôles et émouvantes. Avec empathie et une apparente légèreté, le metteur en scène aborde des sujets qui lui sont si personnels : féminité et frontière entre les genres.

 

Pourquoi le sujet de la féminité ?
Le spectacle part d’une problématique très personnelle, qui a marqué une partie de mon enfance et adolescence. Je me suis longtemps posé la question, en allant assez loin dans la manière de me la poser, de savoir si j’étais un garçon ou une fille. La question s’est ensuite résolue d’elle-même, sans même que je ne vois arriver la réponse. Cela faisait longtemps que je voulais faire de cette question une forme théâtrale, seulement je n’avais pas envie de mettre un homme en robe sur scène. Durant mon enfance, j’ai été entouré et élevé par un groupe de femmes : mes deux grands-mères, mes cousines, une de mes tantes. Un des souvenirs que j’en garde, ce sont les fréquents moments de joie et de fête. C’est pour cette raison que je veux qu’Herself ait des airs de fête.

 

Est-ce que l’on se fixe certaines limites lorsqu’on aborde un sujet si personnel ?
Je considère que faire du théâtre, c’est toujours partir d’une expérience individuelle pour tenter d’en faire une expérience commune. C’est pour cela que je voulais aborder la féminité seulement avec des femmes. Il n’y a donc que des femmes sur le plateau, que des paroles de femmes. Avec Geoffrey Coppini (ndlr : collaborateur artistique à la mise en scène), nous avons décidé de donner un fil rouge à chaque interprète. L’une d’elle a pour fil rouge la transsexualité par exemple. Quant à la frontière entre les genres, je n’aborde pas de fond cette question. Ma vision est très subjective, et sans raconter une histoire, ce qui m’importe est de raconter une communauté de femmes.

 

En quoi ce spectacle est-il différent de tous ceux que vous avez montés jusqu’ici ?
Il n’y a aucun texte de théâtre dans ce spectacle, seulement des matériaux préexistants. J’ai procédé par retranscription et adaptation. C’est la première fois que j’expérimente cette façon de travailler en m’engageant dans un travail dramaturgique de recherche de textes et de matériaux sur un sujet déjà choisi. Le spectacle attaque cette question de la féminité et du genre à divers endroits, parfois purement à l’endroit de la fiction par le biais de témoignages, dont on n’est pas certain de la véracité, ou encore via des matériaux plus bruts. L’idée étant de digresser autour du même sujet. L’autre particularité de ce spectacle est la présence de deux danseuses sur le plateau.

 

Vous aviez imaginé autre chose pour cette création… Peut-on dire en quelque sorte que ce spectacle s’est imposé à vous ?
Oui, et c’est pour cette raison qu’il a mis du temps à se construire. J’étais lancé sur l’idée d’un autre projet. Je me suis engagé dans une phase d’expérimentation. Durant les workshops autour de cet autre projet, quand je me suis retrouvé avec six filles sur le plateau, j’y ai surtout vu l’occasion de travailler sur cette question. C’est un désir qui m’animait depuis longtemps. L’autre projet a du être abandonné pour des questions de production. Finalement, c’était un mal pour un bien.

 

Vous êtes aussi vidéaste. Quelle est la place de la vidéo dans Herself ?
Il y a très peu de vidéos dans Herself. L’idée était essentiellement de travailler sur les différents champs et sur leur profondeur, de rajouter sur le plateau un plan qui n’existe pas au théâtre par le biais de la vidéo. La vidéo est mon langage et si le propos le justifie, alors j’en insère dans le spectacle. Ce n’est pas quelque chose de conscient et de réfléchi, mais plutôt de naturel. Très concrètement, l’inscription dramaturgique, c’est l’idée du hors champ et l’ouverture sur le monde extérieur afin de le ramener dans le théâtre.

 

Comment avez-vous travaillé ?
Ensemble, avec Geoffrey Coppini, nous avons lu et visionné de nombreux documentaires, interviews, reportages, afin de collecter de la parole. Nous en avons parlé autour de nous et tout cela nous a occupés près d’un an. Nous avons dressé une liste de toutes les femmes dont nous souhaitions parler. Cette liste interminable réunit des noms connus aussi bien que des métiers. A partir de cette liste, nous avons pu orienter notre recherche. J’ai mes héroïnes, parmi lesquelles Lydia Lunch, Patti Smith et Sharon Mitchell, une ancienne actrice porno et héroïnomane qui a mis en place le premier système de test du sida auprès des travailleurs du sexe aux Etats-Unis, un parcours de vie hors norme.

 

A quel public s’adresse votre spectacle ?
Les sujets abordés ne sont pas spécialement destinés à des enfants, avec le théâtre, nous sommes d’accord pour dire qu’il ne se destine pas à un public âgé de moins de douze ans. Même si on parle de violence et de choses violentes dans le spectacle, il n’y a jamais de violence sur le plateau. Je pense, et cela n’engage que moi, qu’il y a beaucoup de gens qui peuvent entendre ces paroles, je dirais même qu’elles devraient être entendues par le plus grand nombre. Et j’ai d’autant moins de scrupule à le dire que ces paroles ne sont pas les miennes.

 

Propos recueillis par Aleksandra Lebrethon

 

Herself par la Cie La Paloma : du 12 au 14/03 au Théâtre de la Joliette-Minoterie (Place Henri Verneuil, 2e).
Rens. : 04 91 90 74 28 / www.theatrejoliette.fr

Pour en (sa)voir plus : www.facebook.com/pages/Cie-La-Paloma/229639367123086