Des occupants d'immeubles évacués après les effondrements de la rue d'Aubagne. (Image BG)

Habitat en péril : le réveil soudain de la mairie pousse 1130 Marseillais hors de chez eux

Alors que le nombre d’évacués augmente de jour en jour, les procédures qui doivent lever le doute sur l’état des immeubles peinent à suivre. Laissant propriétaires et locataires dans l’inconnu.

 

Depuis le drame de la rue d’Aubagne, 1134 personnes ont été évacuées de leur logement. Sur le terrain, victimes ou fonctionnaires, personne ne nie la situation de crise. Face à cette vague d’évacuations déclenchée par la crainte d’une deuxième catastrophe et un principe de précaution poussé à l’extrême, la réalité administrative, elle, peine à suivre. En témoigne la comparaison du nombre d’arrêtés de mise en péril actés depuis le 5 novembre et celui des immeubles évacués. Censés officialiser l’évacuation d’une partie ou de la totalité d’un immeuble, douze arrêtés de péril imminent ont en effet été pris depuis le drame. Un chiffre dérisoire face aux 144 immeubles évacués.

Signalement, arrivée des secours, visite des services de la Ville, venue d’un expert judiciaire, arrêté de mise en péril. Voilà le processus qui conduit à l’évacuation des habitants, jusqu’à ce que les travaux nécessaires à la sécurité soient réalisés. Parfois, lors du passage des services de la Ville et des pompiers, des évacuations préventives ont lieu en attendant qu’un expert judiciaire vienne confirmer ou infirmer le risque. « En temps normal, entre le passage des services de la Ville et celui de l’expert, il y a 24 heures. Aujourd’hui, ce délai est largement dépassé. Le temps pour lever le doute est beaucoup plus long », concède, lassé, Julien Ruas, adjoint (LR) en charge de la sécurité. Et l’élu de préciser que ce délai est actuellement plus proche d’une semaine.

 

« Pas de renfort »

Alors qu’il espère que la crise va « s’estomper avec le temps », Julien Ruas insiste : « Nous n’avons pas de renfort. Des experts des juridictions voisines ont été sollicités mais ils réalisent deux ou trois visites dans la journée puis rentrent chez eux. Ils ne sont pas détachés ici. Quant aux experts envoyés par l’État, ils n’ont pas encore commencé leur mission. » 61 expertises ont eu lieu depuis le 5 novembre, qui ont entraîné douze arrêtés de péril. Mais certains cas sont toujours en cours d’étude. « Sur ces dossiers, nous attendons aussi un certain nombre de rapports des experts »confirme Julien Ruas.

Patrick fait partie des 1134 évacués. Ce dimanche, comme le week-end dernier, les pompiers sont passés à plusieurs reprises dans sa rue pour contrôler l’état des immeubles. Cela n’a pas vraiment perturbé le quotidien de cet habitant du centre-ville, jusqu’à ce dimanche soir. « Ils nous ont évacué et ont bloqué la rue, raconte Patrick. Les voisins de l’immeuble mitoyen étaient inquiets, ils ont fait un signalement. Après les pompiers, un gars qui s’est présenté comme un ingénieur de la Ville est venu voir une fissure entre nos deux immeubles et a décidé d’évacuer notre immeuble. »

 

« On voudrait régler ça vite mais on est bloqué »

Dans l’attente du passage d’un expert judiciaire pour définitivement lever le doute sur les risques éventuels pour les occupants, propriétaires et locataires sont censés pouvoir s’en remettre aux services de la mairie, via un numéro d’urgence mis en place depuis le drame de la rue d’Aubagne. Mais depuis dimanche, Patrick n’a aucune information. « On nous dit de rappeler, que la situation va être réglée au plus vite. Parfois on bascule même notre appel sur les lignes d’Allô mairie. » Après les sinistrés et évacués de la rue d’Aubagne, c’est au tour de centaines de Marseillais de se retrouver à leur tour plongés dans le désarroi.

Les voisins de Patrick, eux, sont à bout de nerfs. « On se sent responsables, expliquent les propriétaires de l’immeuble mitoyen. Notre locataire a été gagnée par la psychose. Elle nous disait que des fissures étaient apparues. On a voulu bien faire pour la rassurer, on a prévenu les secours. Résultat, tout l’immeuble voisin a été évacué et nous n’avons aucune information sur ce qui se passe vraiment. » Si les services de la mairie ont indiqué à ces propriétaires qu’un expert judiciaire passerait dans les 24 heures, ce dernier n’est, sans grande surprise, toujours pas venu. « Nous étions prêts à mandater un expert privé. Dans un premier temps, la mairie nous a dit oui, et puis nous a rappelés pour nous dire non. En fait, les gens à qui on s’adresse ne savent pas ce qu’il faut faire », poursuit l’un des propriétaires.

Pour faire avancer les choses, ces derniers ont décidé de faire venir ce lundi une entreprise de travaux en bâtiment. « Ils nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu une rue bloquée pour ça, qu’en une demi-journée le problème était réglé. Mais la Ville nous dit que sans rapport d’expert on ne doit rien faire. » Pour l’heure, les propriétaires en question ne disposent d’aucun document, d’aucune information sur les délais. « Nous appelons constamment mais personne ne nous répond ou alors c’est pour nous mentir ! On voudrait régler ça au plus vite mais on est bloqués, on culpabilise, on dort mal », lâche l’un d’eux avant d’éclater en sanglots.

 

Violette Artaud