Retour sur Gardien Party au Mucem, dans le cadre du week-end d’ouverture d’Actoral

Veilleurs d’ennui

 

Habitué des « spectacles-témoignages » qui bouleversent ou dérangent, Mohamed El Khatib et la romancière, plasticienne et vidéaste Valérie Mréjen exposent la vie d’agent.e.s d’accueil issu.e.s de divers pays et contextes culturels dans une joyeuse et espiègle Gardien Party. Une transposition du regard sur l’art, les visiteur.se.s de musée, la place que l’on accorde au temps, aux gens et aux choses.

 

 

Gardien Party pourrait ne ressembler qu’à une sorte de séminaire professionnel international, un de ces colloques où l’on échange sur ses pratiques de travail, où l’on confronte ses visions du métier. On pourrait buter d’emblée sur l’ambiguïté : acteurs ou vrais gardiens ? Il pourrait y avoir une lassitude de ces théâtralités du réel, de ces immersions fictionnelles d’étude de milieu. La rencontre entre Valérie Mréjen et Mohamed El Khatib aurait pu n’être excitante que sur le papier…
Et pourtant, une évidence écarte toutes ces réticences. Cela fonctionne, nous fait du bien et va chercher beaucoup plus loin que l’apparence.

Gardien Party lorgne du côté de la série Garden Party du photographe britannique Martin Parr, des instants volés saisis comme des clichés, un geste un peu moqueur au premier abord avant que le comique de situation, la porte d’entrée des successions d’anecdotes ne s’effacent devant une réflexion de classe « dans et hors » de l’institution artistique. Une immersion sociologique dans le monde fermé de l’art et de fait celui du fonctionnariat qui propose un changement d’angle, un recul supplémentaire pour estimer la valeur travail et son utilité. « Des gens payés à rien faire » que l’on utilise comme menace pour les enfants à la scolarité chaotique : « Tu vois comment tu vas finir, pareil qu’eux ! »

« Est-ce la bonne place ? » doit être la question qu’immanquablement les commissaires d’exposition se posent pour mettre en valeurs les œuvres à accrocher, et celle qui taraude les gardiens de musées censés surveiller sans importuner, renseigner sans outrepasser leur rôle. Et nous-mêmes, visiteuses, visiteurs, le temps de traverser une collection, ne cherchons-nous pas la meilleure place pour admirer au mieux le tableau, l’installation ; savons-nous où nous situer pour respecter le règlement en succombant parfois à nos envies de le transgresser ? Sommes-nous toujours à notre place ? Et quelle place octroyons-nous à ces gardiens invisibles, incontournables mais non reconnus ? « C’est difficile d’être présent et absent en même temps », lance l’un d’eux.

Nous revoici au cœur du deuil, celui qui s’invite toujours à un moment ou un autre dans les propositions de Mohamed El Khatib. Quels deuils ont-ils eu à faire ? Quel échec, quel désir les ont amenés là, debout devant une Joconde qui n’est plus qu’un décor de selfie ? Qu’est-ce qui leur a manqué ? L’appellation moins dévalorisante de « gardien du patrimoine » suffit-elle à les faire remonter dans l’échelle sociale, l’estime du reste de l’équipe ?

Le huis clos du musée se révèle être un monde dans le monde où un regard, une remarque suffisent, de part et d’autre du cordon de sécurité, à distribuer les places, attribuer les rôles, remplir les cases d’une classification arbitraire. Les confrontations donnent autant de conflits que de situations cocasses… Une fois de plus, le théâtre vient faire lien et réparation en ouvrant une fenêtre de dialogue entre l’art et le populaire. En questionnant différemment des thématiques intemporelles telle la soumission, le petit pouvoir, la surveillance, le mépris, la conscience professionnelle et politique…

L’ennui qu’El Khatib met en scène est une mise en situation, une façon d’évaluer quel rapport ces gardiens entretiennent avec le règlement, la lenteur de l’écoulement des minutes qui ne donne comme échappatoire que l’imaginaire, l’observation, la réflexion ou quelques clics d’aiguilles s’ils sont autorisés par la hiérarchie muséale… Un autre univers s’ouvre alors, dont ils sont les acteurs : celui que chaque membre du personnel de surveillance se crée pour tenir sa place sans vaciller, un cadre à la glace sans tain où il s’expose et qui se juxtapose au miroir sociétal qu’est un musée en activité.

Gardien Party ne dépeint pas un lieu fermé spécifique mais le jardin secret des personnes qui y veillent, une vraie garden party où l’on s’amuse follement avec les codes et les représentations.

 

Marie Anezin

 

Gardien Party était présenté les 10 & 11/09 au Mucem, dans le cadre du week-end d’ouverture d’Actoral