Galette | Minuit 10

Belle de nuit

 

Si Minuit 10 a commencé à se produire sur scène dès 2011, cela fait une paire d’années que le groupe des frères Rouvière se forge une réputation scénique sans pareille. Issu des rangs de l’Institut Musical de Formation Professionnelle à Salon-de-Provence, le quartet s’impose dans l’univers du jazz et des musiques improvisées par la grâce et la puissance de ses propositions musicales mobilisant tous les sens. L’écoute de l’album Les Enfants de l’amour confirme en tout cas ce groupe comme l’une des valeurs sûres d’un nouveau jazz parfumé de rock et d’électro.

 

Des nappes de guitare délicates comme un coulis de framboise sur le plus délicieux des tiramisus et, d’un seul coup, une rythmique percutante qui bouscule les papilles. Telle est la base de la recette que concocte Minuit 10 sur son premier album. Un zeste de chant grégorien et une guitare acoustique sur des effets électroniques, avec de nettes influences méditerranéennes, jamais caricaturales mais bien universelles. Avec un je-ne-sais-quoi d’épique. Il y a comme de l’art du troubadour dans cette musique qui raconte des histoires sans pareilles. Est-ce vraiment du jazz ? Dans tous les cas, le découpage ciselé donne à voyager, et la virtuosité des musiciens, tant dans le jeu d’ensemble que dans les parties solos, reste de mise. Les chorus de guitare, souvent dévolus à Thibaud Rouvière, sont trempées dans un univers jazz-rock nanti d’un profond sens du blues, référence à Mike Stern oblige. Le jeu de son frangin Sylvain se distingue par des arpèges sensibles qui bousculent le corps et l’esprit. Des stridences paradoxalement joyeuses parsèment les compositions originales. Dans ces ravages de l’instinct, la talentueuse jeune (mais est-ce besoin de réitérer cet adjectif ?) pianiste Nina Gat s’immisce le temps d’une valse à l’entame « billevansienne » sur une rythmique formidablement émancipatrice de Matis Regnaud et Étienne Rouvière (l’autre membre de la fratrie, donc), respectivement bassiste et batteur.

Ça chante évidemment : les parties vocales, dévolues aux musiciens, sont empreintes d’une préciosité rappelant le chant séfarade, et si paroles il y a, elles sont sur ce parfumé La Rosa enfleroce, sublime hymne printanier. Il y a aussi ce texte déclamé en anglais, sur une rythmique à la fois lourde et légère, si légère. Nombre de titres sont des invitations à la danse, comme autant de rituels post-apocalyptiques, tel ce Passé sous silence empruntant autant au dub qu’à l’univers jazz psychédélique d’Eberhard Weber. En même temps, une ballade déchirante vient fendre le cœur, agrémentée d’une trompette au naturel sans faille (étincelant featuring de Louis Genoud sur Sérénade sous un balcon vide).

Le disque est bien cette explosion sensorielle attendue, au service d’un propos mythologique, élaboré dans une démarche à la fois modeste et ambitieuse.

 

Laurent Dussutour

 

Dans les bacs : Les Enfants de l’amour (Étincelles Productions)

Rens. : www.minuit10music.com

http://etincelles-productions.fr/artist/minuit-10/