Fred Sathal au Musée de la Mode et au FRAC

Fred Sathal au Musée de la Mode et au FRAC

Sathalchimie

La créatrice Fred Sathal assène à Marseille plusieurs coups d’aiguille magique : du Musée de la Mode au FRAC (sans omettre de faire une petite génuflexion devant l’installation de l’Ancien Presbytère), on ne saurait se faire prier pour devenir les ouailles de cette prêtresse de la Haute Couture, qui accède ici à l’autel des saints plasticiens — comme en témoigne sa bible récemment parue aux éditions Images en manœuvres.

Fred-Sathal-Arbre-de-vie.jpgOn ne peut échapper à la griffe bienveillante de Fred Sathal : sans fioritures, chaleureuse et mutine, elle vous claque la bise et vous tutoie d’emblée. Aussi simple que ses parures sont foisonnantes (et cependant tout aussi mystérieuse), la belle à la silhouette d’ado et à la voix grave collectionne les cordes à son arc et décoche des flèches pleines de grâce. En expérimentant de nombreux terrains, « je vais au plus près de ce que j’ai envie de répandre », affirme-t-elle, avec le souci de « dévoiler l’endroit et l’envers, sans rien cacher. » Elle accepte une certaine filiation avec Louise Bourgeois et Rebecca Horn, sans fausse modestie, car elle ressent sa valeur de plasticienne et assume de s’inscrire dans un itinéraire transversal. Son vocabulaire protéiforme a comme première langue la pure poésie et possède une grammaire sans exception.
Sathal Créatures — état des lieux de ses vingt ans de stylisme — que le Musée de la Mode lui offre comme un écrin sur deux étages, fait à juste titre la fierté de son conservateur, Sylvie Richoux, et prouve que les achats du musée (quinze pièces marquant un soutien de longue date) servent la judicieuse politique de fidélité à une créatrice marseillaise désormais mondialement reconnue. Besogneuse, Fred a toujours procédé par intuitions : elle accumule et récupère des matières, assemble des croquis et des polaroïds, note et colle dans ses cahiers de recherches (de précieux petits « grimoires ») tous les fils conducteurs qui tisseront ses modèles. L’araignée du soir maîtrise les teintures artisanales et devient elle-même mannequin de sa première garde-robe : performance remarquable et remarquée ! Elle enchaînera les défilés tout en conservant son exigence de mise en scène et de perfectionnisme. « La photographie fait partie du cheminement de mon travail » et les clichés (entre autres ceux de Patricia Giudicelli) accentuent les narrations que transportent les vêtements au sein d’un décor souvent onirique. Peau d’âne aurait aimé se glisser dans des manteaux cumulant les saisons, chausser des baskets uniques en leur genre, se décoincer dans une robe courte en cotte de mailles peinte ou en agneau sérigraphié et couvrir son chef du diadème aux dents de vache… Après avoir, en 1998, réalisé les 120 costumes de la comédie musicale Notre Dame de Paris, le besoin de créer hors limites ne se tarira jamais.
Cette rétrospective avant l’heure permet de capter des ambiances d’atelier en ébullition constante. Un regret de taille tout de même : que les chapeaux soient tous derrière une vitrine et non pas dans mon dressing.

Autant machine à coudre qu’à écrire

Faiseuse d’images mentales, de vidéos, d’installations en suspension et d’illustrations sonores, Fred nous emmène dans son antre et réussit à faire scintiller l’aube d’un art contemporain saluant à nouveau le bel ouvrage, par l’intermédiaire du FRAC. Les Epées Aiguilles (produites lors de sa résidence au CIAV de Meisenthal) sont des prouesses techniques qui valurent aux artisans verriers de Moselle beaucoup de pugnacité pour parvenir à ce que chacun perce son chas. Ces piques évoquent origines et combats : l’exemplaire en verre poli présente des facettes, tel un silex taillé. La Cabane Céleste, sorte de matrice ou de fleur « paillettivore », suture le puzzle d’un rituel en mouvement. L’Arbre de vie est un verger de lianes enchantées — évoquant par endroits les réalisations de Jean-Michel Othoniel. L’artiste coud sa mythologie personnelle, mais sait aussi habilement tricoter de petits miracles, comme quand elle rassemble de façon inédite la ville et la région (en juxtaposant Jean-Claude Gaudin et Michel Vauzelle sur le même carton d’invitation) ou motive en douceur une équipe de petites mains qui ne chôment pas. La synergie et la sensualité imprègnent sans cesse l’espace : les Franges de fétiches, rideaux hauts en couleurs, sont quasi inaccessibles et le visiteur n’a plus alors qu’à fantasmer leurs caresses. Les détrempes successives des étoffes accessoirisées se moirent d’une ombre profonde. Un noir omniprésent pour mieux permettre à la magie blanche d’opérer… Depuis la Nuit des musées, la fée Sathal s’atèle, et ce pendant trois mois, à revêtir de blanc le magnolia situé au milieu de la cour intérieure (favorisant ainsi une vraie rencontre avec le public).
Autant machine à coudre qu’à écrire, elle plante sa plume dans « un format pratique à trimballer dans son sac », superbe monographie (également intitulée Sathal Créatures chez Images en manœuvres) relatant chronologiquement — en 27 chapitres, soit le nombre de ses collections — les détails d’une démarche qui accueille tous les heureux accidents possibles et ne laisse pourtant rien au hasard. Des descriptions verbalisées avec justesse mentionnent toujours les multiples collaborateurs. Ses prédispositions pour une quête ludique en partage et l’amour de l’objet-livre seront quant à elles illustrées par le carnet d’activités, réalisé conjointement par les trois structures participant à ces manifestations.
Au fait, Clochette peut aller se rhabiller… Mais que tous ceux qui continuent à croire aux pays imaginaires soient remerciés !

M. Nanquette-Quérette

Sathal Créatures : jusqu’au 31/10 au Musée de la Mode (11, La Canebière, 1er). Rens. 04 96 17 06 00.
Mon antre : jusqu’au 29/08 au FRAC (1 place Francis Chirat, 2e). Rens. 04 91 91 27 55.
A suivre, Ensorcelée : du 1/06 au 10/07 à l’Ancien presbytère / Association Art’cessible, (1 place des Etats-Unis, 6e). Rens. 06 88 16 21 11.
En librairie : Sathal Créatures (éd. Images en Manœuvre)