Floryan Varennes © JC Lett

Floryan Varennes – Alter-Héraut au CAC d’Istres

Étant d’arts

 

Au Centre d’Art Contemporain d’Istres, les œuvres du plasticien Floryan Varennes ont investi tout l’espace. Étendards en cuir holographique, lance de joute en verre produite par le CIAV de Meisenthal, écriture gothique en lettrines agrandies, mais aussi vêtements du XXIe entre cols et parures… avec Alter-Héraut, le jeune artiste fait une monstration qui rend compte de cinq années de travail sublimées par une rencontre.

 

Catherine Soria l’a repéré lors d’un concours en 2015. Elle était dans le jury, il était candidat. Séduite par la tonalité médiévaliste du concurrent, la directrice du Centre d’Art Contemporain d’Istres lui a ouvert les portes du lieu. D’abord sous la forme d’une invitation à participer à l’exposition collective Quand la matière devient forme en 2016, puis sous celle d’un workshop en 2017. Pour, finalement, lui céder les clefs du « château » cette année.

Pendant un an, Floryan Varennes s’est consacré à la conception de cette exposition personnelle, à la mise en espace des quatre pièces — chacune dans son unité et toutes en correspondance. Dès septembre 2017, en résidence à Pollen, il a « remis ses bases à zéro » pour reprendre ses propres termes. Puis il s’est ingénié à faire coïncider, dans une démarche syncrétique, les œuvres existantes et celles à venir. Porté par ses « obsessions », il a poursuivi le cours d’une réflexion jusque-là nourrie « de références médiévales historiques, d’emprunts à la sociologie de la mode, à l’étude des genres et au monde clinique. » En résulte plusieurs œuvres nouvelles, dont Codex Novem, pièce maîtresse qui exploite largement son référentiel et se traduit par une série d’étendards évidés en cuir (en fait en PVC) holographique, au rose, bleu et violet rendus iridescents par photochimie. Suspendus entre ciel et terre, les drapeaux immobiles semblent mus par le jeu de la lumière qui varie selon les angles. C’est ainsi que Floryan Varennes a réussi à formuler les échos, les réverbérations de l’époque médiévale à travers la période contemporaine. L’objet final, « très référencé et très matiéré, résulte d’une superposition de strates. Les trois couleurs expriment les genres : le bleu-garçon, le rose-fille et le violet intermédiaire. La forme, l’étendard, c’est l’insigne de guerre et de monstration d’identité ; creusé, il perd sa fonction d’apparat et d’exposition. De manière plus subtile, il signifie, ainsi évidé, le piège, le filet, le carcan ou la lanière. Et, en allant toujours plus loin, il se réfère aux pratiques sadomasochistes. » Cette dernière source d’inspiration, l’artiste l’a approfondie en se rendant dans des magasins pour regarder la lingerie SM.

À contre-courant du matérialisme, Floryan Varennes, qui « aime le corps morcelé », s’attache à en parler sans le modéliser. Son travail, axé sur les extensions symboliques du corps, passe en premier lieu par la décomposition de l’utilité du vêtement : c’est en débâtissant deux orthèses de jambe – ouvertes, rivetées et présentées comme un bouclier – ou une chemise pour n’en conserver que les attaches (col et poignets) qu’il engage la métamorphose. Dès lors, un col piqué d’épingles, qui tiennent entre elles par compression, rend tout autant sensible le rendu esthétique que l’effet symbolique : « Le col, c’est le rapport d’apparat, la sensualité avec la pomme d’Adam ; c’est aussi le col blanc, symbole du travail, de la représentation. Allongé de perles ou encore piqué d’épingles, le col c’est la jonction entre la tête et le corps, la pensée et le faire, l’endroit possible d’une mort horrible, par strangulation, égorgement, décapitation… Le col me permet de parler de ces choses-là. »

Floryan Varennes opère des rapprochements, fonctionne par analogie et dichotomie. Ainsi, la lance de joute — parangon, selon lui, de son travail actuel — évoque naturellement une fête médiévale, une joute sur l’eau, la chevalerie… mais elle exprime aussi sa dimension phallique : « Cet objet est une verge. La mandorle, c’est une vulve. Je montre l’un dans l’autre ou l’autre dans l’un. » Et d’ajouter, « Cette lance, je l’ai subvertie en la faisant en verre. Je voulais travailler le verre, la transformation de la lumière invisible. C’est luxueux, c’est de l’alchimie. » Mais il voit aussi la lance comme un outil médical : « Depuis tout le temps, j’adore les salles d’opération. Une salle d’opération, c’est comme une église, c’est sacré. Tout est propre. Le côté médical se joint au côté martial. Ce n’est pas la question de la maladie qui m’intéresse, mais celle du soin. Le soin comme un combat permanent. Le bleu aussi, le céleste et le bleu médical, entretiennent un rapport dans ma tête. »

Chaque œuvre est une histoire, un système formé de la somme d’un ensemble d’autres systèmes.

Dans sa quête, l’artiste combine les matières (tissu, métal, mots, verre, plomb…), les façons (couture, passementerie, maroquinerie, écriture…) et les univers : l’amour courtois, le champ de bataille, une clinique, un lexique préraphaélite…

Servi par une exigence esthétique absolue, une finesse de réalisation délectable, la monstration de Floryan Varennes est agissante. L’artiste, dont la vision s’est faite objet — d’art — est devenu le héraut de quelque chose de nouveau.

 

Patricia Rouillard

 

Floryan Varennes – Alter-Héraut : jusqu’au 10/01/2019 au CAC d’Istres.

Rens. : 04 42 55 17 10 / www.facebook.com/centredart.istresouestprovenceatampmetropole.fr
www.pareidolie.net/saison-du-dessin-2018-2/

Pour en (sa)voir plus : www.floryanvarennes.com/