Un Chiant d’amour

« Je me suis arrêté de bouger, la vie m’est apparue. » Ce postulat, aussi évident qu’émouvant, est le point de départ du nouveau projet de l’anti-conformiste Emmanuel Germond, un festival de cinéma qui ouvre un nouveau chiant des possibles…

Quel est le point commun entre le surréaliste Chanson du deuxième étage du Suédois Roy Andersson et le nostalgique Palindromes de l’Américain Todd Solondz, entre le très épuré Few of us du Lituanien Sharunas Bartas et le sombre opus du Hongrois Bela Tarr, Les Harmonies Werckmeister ? Plébiscités par la critique, primés dans moult festivals, ces films ont pour particularité de faire un certain éloge de la lenteur, s’inscrivant dans un temps décalé par rapport à une réalité de plus en plus oppressante — qui pour souligner l’absurdité de l’existence (Andersson, Solondz), qui pour laisser la place aux émotions, aux sensations (Bartas, Tarr). D’aucuns les qualifieront de « chiants », à l’instar de notre collaborateur (occasionnel) Emmanuel Germond, artiste touche-à-tout qui a fait du décalage un art de vivre. « Décalé », c’est justement le premier mot qui vient à l’esprit quand on prend connaissance du nouveau projet de notre homme, le Festival International du Film Chiant — le FIFIC pour les intimes. Une manifestation dont l’intitulé et sa typographie disneyenne prêtent à sourire, mais dont la note d’intention se présente comme un étonnant manifeste politico-philosophique. Il s’agit en effet de prendre ses distances avec le cinéma actuel, obsédé par la volonté de divertir et finalement très conservateur, pour appréhender les choses différemment, « en permettant au ressenti et à l’interprétation de faire surface », quitte à extirper le spectateur d’un « certain confort psychologique » dans lequel le monde occidentalisé l’enferme, souvent sans se voir opposer une quelconque résistance. Le FIFIC propose pour cela, outre les quatre films susmentionnés, un pack « Chiant intégral », dont le menu s’avère riche de promesses : des courts métrages et productions locales regroupés sous l’appellation « Petit mais déjà chiant », une séance avec habillage sonore à l’avenant parce qu’« avec du son, c’est pire », ou encore « La nuit la plus chiante » avec la projection d’un documentaire dont la durée dépasse l’entendement. Si tout se déroule selon les vœux de son créateur, une première édition en guise de banc d’essai devrait voir le jour l’année prochaine, avant le grand raout de 2013.
Mais alors, pourquoi en parler déjà ? Parce que le festival n’est encore qu’à l’état embryonnaire, et qu’Emmanuel ayant beau se montrer créatif, il demeure, comme nombre de ses congénères, sans le sou. D’où l’ingénieuse idée de faire appel à la générosité de chacun via la structure Kisskissbankbank, dont le site Internet fonctionne sur le principe des achats groupés. Autrement dit, après avoir évalué le montant requis pour concrétiser ses ambitions, le porteur de projet dispose de trois mois pour lever des fonds en proposant plusieurs formules de participation. Ici, pour une somme allant de 15 à 999 euros, vous pourrez vous impliquer dans le FIFIC en échange de pass, de t-shirts et autres titres honorifiques. Il s’agit aussi et surtout pour le « Kissbanker » de soutenir concrètement la création et l’innovation.
Avec le FIFIC, Emmanuel inaugure ainsi le dispositif imaginé par l’équipe de Marseille2013.org (le OFF de la Capitale européenne de la culture), certes passionnée, mais sans aucun budget pour aider à la réalisation des nombreux projets qu’elle aimerait voir menés à bien. D’où l’instauration d’un rendez-vous bimensuel dans divers lieux de la ville — malicieusement intitulé Fokonsvoi — pour susciter une émulation et un réseau d’entraide parmi les artistes et créatifs de tous bords qui entendent (re)dynamiser la culture locale à l’approche d’une échéance « capitale » pour elle.
A votre bon cœur, messieurs dames ! Si ce projet (et les suivants) venait à ne pas aboutir, ce serait un bien triste ch(i)ant du cygne…

CC (avec HS et EV)