L'Ensemble Clematis

Festival International de Musique de Chambre de Salon-de-Provence

Salon d’été

 

Le Festival International de Musique de chambre de Salon-de-Provence fête ses trente ans. Comment, pour cet anniversaire, ne pas évoquer l’été invincible de Camus(1) et son injonction à garder en soi une fraîcheur intacte pour « retourner au combat avec cette lumière conquise », serrant au plus près ce que l’on avait tenu pour impossible. La trentième édition témoigne de cette détermination. On y retrouvera, du 28 juillet au 6 août, la verve exclamative des premiers printemps.

 

 

Sur quel Grand Divan l’intimité profonde du festival pourrait-elle se déchiffrer, sinon entre les lignes de sa programmation ? Elle réclame de ses trois artisans une lucidité mobile et voyageuse pour sélectionner parmi leurs plus belles rencontres, leurs meilleures impressions avec, pour guide, l’intuition de leur devenir sur les scènes de Salon-de-Provence. Malgré les incertitudes structurantes de la réalité musicale, elle contient bien plus qu’un calcul des aléas et des opportunités. Cette année encore, le flûtiste Emmanuel Pahud, le pianiste Éric Lesage et le clarinettiste Paul Meyer, directeurs artistiques, ont coopté un florilège de beautés intemporelles et de séductions immédiates avec le discernement de ceux à qui la réalisation personnelle dans le métier a offert un surplomb international. Mais, au-delà, leur inébranlable amitié cristallise une image subliminale où se précisent, en ombre portée, les méditations de l’écrivain sur son enfance méridionale, retour dans les lieux d’un bonheur originel. Sur ce mode singulier de sollicitations s’est construite la personnalité du festival, sujet collectif de désirs et de représentations, force mystérieuse qui attire l’aiguille de ses trois boussoles, et par contagion celles de bien d’autres musiciens, dans la direction de la petite ville provençale, chaque été, invinciblement. Suivons le mouvement.

 

Un bœuf sur le toit du château

L’Ensemble Clematis nous invitera à percer les arcanes d’un large XVIIe siècle en trois concerts organisés autour de trois compositeurs tenant lieu de mobile thématique. L’occasion de saisir les clairs-obscurs d’un baroque au sein duquel l’austérité des memento mori et des leçons de Ténèbres côtoient des extases et des ravissements où profane et sacré rivalisent de volupté. Au-delà des corrélations stylistiques, l’Ensemble Clematis a le talent de surprendre l’invention à sa source, dans ce concret sonore où Cavalli, Frescobaldi et Pachelbel ont traduit ce qu’ils possédaient d’unique et d’irréductible parmi les constellations turbulentes d’un art vivant. C’est le tempérament du festival, exprimé par sa programmation, que de prospecter les richesses de ce monde en suspens dans les saveurs et les sons qu’une époque en se retirant a laissé dans son jusant, aussi multiples et singuliers de forme que des bois flottés. À quelque endroit que les concerts de Salon placent le curseur de l’histoire, une considération particulière est portée aux compositeurs déshérités par la fortune critique mais indispensables pour apprécier la diversité des rouages et des ressorts de la musique de leur temps.

Bien sûr, nous entendrons du Mozart, particulièrement ses œuvres pour flûte illustrées par Emmanuel Pahud (le 6/08). Que les romantiques se rassurent également, des schubertiades leur seront réservées dans l’intimité de la petite nef de l’abbaye Sainte Croix. Éric Le Sage répondra à l’insistance de l’aimable génie viennois qui le poursuit depuis ses vingt ans. « Je ne me sentais pas prêt pour SchubertAujourd’hui, j’ai l’impression de commencer un nouveau cycle […] » (le 1/08) et le Trio Pascal consacrera son programme au « Cher Franz » (le 6/08). Mais les honneurs de la haute cour du Château de l’Empéri iront à l’insoupçonné Franz Anton Hoffmeister, véritable chaînon manquant entre Mozart et Beethoven, l’un des tout premiers musiciens vulnérables aux souffrances du jeune Werther (le 1/08). La démarche prend une tournure proustienne, quand elle assemble autour du compositeur Reynaldo Hann, « l’ami idéal » de Marcel, de volatiles correspondances avec la Petite symphonie pour ensemble à vent de Gounod (le 31/07). Là se joueront les surprises pleines d’effets et de sensations d’un cabinet de curiosités musicales françaises parmi lesquelles le Chœur de Chambre de Namur fera valoir à son tour le lyrisme délicat des mélodies ou le clinquant cabaret d’un Bœuf sur le toit d’après Darius Milhaud (le 4/08). Nous arpenterons le XXe de Kodali (le 4/08) à Ligeti (le 2/08) avec toujours en contrepoint ces figures complémentaires qui, en ménageant un écart, soumettent à une attention plus pénétrante le choc des ruptures à l’exemple de Paul Ben Haïm (1897-1984) ou Ernö Dohnanyi (1877-1960), dont nous découvrirons le sextuor en ut opus 37 lors du concert final (le 6/08), tous deux révélateurs de paysages de la sensibilité et d’imaginaires piétinés par le totalitarisme.

Ce voyage par sauts et gambades dans le temps ne serait pas abouti sans trois créations dédiées à cette édition anniversaire : une sonate d’Orlando Bass sur le modèle d’Haydn (le 3/08), un quatuor pour flûte, clarinette, violon et violoncelle de Jules Matton (le 6/08) et une œuvre de Nicolas Bacri dont le format reste à découvrir (le 1/08). Sans oublier la venue d’un invité surprise au concert d’ouverture (le 30/07) pour un bœuf, non plus sur le toit, mais sur la scène du château.

 

Arc-en-ciel

Les années ont passé mais le désir perdure chez les trois compères fondateurs du festival de retrouver, selon les mots de Camus, « la beauté sous un ciel jeune » en équilibrant l’hommage au chemin parcouru et la volonté d’agir. Dès son premier commencement, le festival de Salon-de-Provence ne s’est pas contenté du noir et blanc de la partition mais l’a rehaussée aux couleurs de l’été invincible sans lequel sa petite musique intérieure serait restée matière sans substance. Une signature chromatique invisible pour les yeux mais néanmoins déterminante du principe vital et moteur qui l’anime voilà déjà trois décennies. À cet âge, ce serait reculer que de ne plus avancer.

 

Roland Yvanez

 

 

Festival International de Musique de Chambre de Salon-de-Provence : du 28/07 au 6/08 au Château de l’Empéri (Salon-de-Provence).

Rens. : https://festival-salon.fr/fr

La programmation complète de Salon – Festival International de Musique de Chambre ici

 

 

 

Notes
  1. Albert Camus, Retour à Tipasa[]