Astreinte © Mathieu Tomassin

Festival Chhhhhut

Le bruit défendu

Une édition test l’an dernier et l’essai est transformé. Nous revoici donc à l’heure du festival noise Chhhhhut. Immersion.

« Chaque manifestation de notre vie est accompagnée par le bruit. Le bruit nous est familier. Le bruit a le pouvoir de nous rappeler à la vie. Le son, au contraire, étranger à la vie, toujours musical, chose à part, élément occasionnel, est devenu pour notre oreille ce qu’un visage trop connu est pour notre œil. » Ainsi Luigi Russolo, l’un des seuls futuristes n’ayant pas adhéré aux idées fascistes, soutenait-il, dans son manifeste avant-gardiste L’Art des Bruits (1913), son désir de révolutionner les esprits et les champs musicaux de toute une époque… Si, au début du siècle dernier, lui et ses potes bruitistes parvinrent d’abord à vider des salles, un siècle plus tard, ce que l’on nomme la noise (l’un de ses descendants directs, popularisé par des artistes comme Sonic Youth ou Lou Reed) a tendance à les remplir. Les mœurs changent : le bruit est musique, et ça ne choque plus personne.
« Dans l’atmosphère retentissante des grandes villes aussi bien que dans les campagnes autrefois silencieuses, la machine crée aujourd’hui un si grand nombre de bruits variés que le son pur, par sa petitesse et sa monotonie, ne suscite plus aucune émotion », constatait Luigi.
L’idée de monter un festival noise à Marseille coule de source pour de nombreuses raisons : ville bruyante et bordélique, scène active, initiatives partagées, âge d’or (les années 90) à faire renaître, pugnacité même sans le sou… Chhhhhut est le fruit de pas moins de treize structures (le Bureau Détonnant, Data, l’Embobineuse, l’Improbable, le GRIM, Live In Marseille, La Compagnie, So Prod., Technè-RIAM, Interface, le Festival des Musiques Insolentes, Katatak, La Station Radar) qui, organisées en collectif, profitent de l’occasion pour mutualiser leurs moyens. Un acte d’une cohérence incontestable. Inutile de paraphraser l’édito du festival, avec cette deuxième édition, « il s’agira de balayer le spectre noise au sens large, de bidouillages en transe occitane, jusqu’aux pionniers de la sludge-noise music japonaise. » En compilant les affinités de chacun (de l’ambient rêveuse aux fréquences les plus stridentes), cette nouvelle programmation se déploie en marathon sur deux semaines. Un coup de projecteur sur tout un vivier présent à l’année et effectuant, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige (sic), un travail de fond sans jamais renier ses principes. Il y a l’événement, Chhhhhut, et tout ce qu’il représente, en filigrane, indissociable.
Russolo : « Plus téméraire que le plus téméraire des musiciens de profession, nullement préoccupé par mon apparente incompétence, sachant que l’audace donne tous les droits et toutes les possibilités, j’ai conçu la rénovation de la musique par l’Art des Bruits. » Chhhhhut est l’empreinte automnale d’un des pans les plus actifs de la culture locale. On lui souhaite de ne jamais se taire.

 Jordan Saïsset

Festival Chhhhhut : jusqu’au 31/10 à Art-cade/Galerie des Grands Bains Douches, La Compagnie, Data, l’Embobineuse, Les Galeries Nomades Archist, la Machine à Coudre et Montévidéo.
Rens. 06 21 25 06 91 / www.chhhhhut.wordpress.com

 

La sélection de Ventilo

 

Zeni Geva + Death In Death Valley + Lee Zeirjick
> le 18 à l’Embobineuse

Lee Zeirjick (Ben, du groupe marseillais 25) ouvrira les hostilités avec une ambiance drone bruitiste entre guitare et bande K7. Il sera suivi de près par Death in Death Valley, duo électroacoustique guitare/laptop. Ensuite, les deux Japonais de Zeni Geva, à savoir KK Null (hum…) à la guitare et son compère Tatsuya Yoshida à la batterie, délivreront un sludge qui devrait ravir les amateurs de Shellac, Melvins et consorts.

 

Staer + Cheverny + Torticoli + Tonnerre Mécanique
> le 19 à la Machine à Coudre

Une soirée comme on les aime à la Machine : avec de la sueur qui suinte sur les murs et une programmation noise-rock de qualité. Que ce soit en compagnie des Norvégiens de Staer, avec leur approche radicale, les Lyonnais de Cheverny et de Torticoli, ou les Marseillais de Tonnerre Mécanique, ça risque fort de « poutrer », comme on dit.

 

Eloge du bruit dans les musiques des XXe et XXIe siècles
> le 20 à la Compagnie

Au programme : une conférence musicale du sociologue et musicologue Pierre-Albert Castanet, spécialiste de l’étude du bruit dans la musique. S’ensuivront des projections de vidéos expérimentales appartenant au collectionneur Laurent Fiévet, notamment une étonnante vidéo où le flic « bruiteur » de Police Academy raconte l’histoire de la machine à écrire, entièrement à la bouche.

 

Je Suis Le Petit Chevalier
> le 21 à la galerie l’Art-cade

Ce projet de l’artiste plasticienne franco-belge Felicia Atkinson présente une autre définition de la noise, dans une approche ambient aux atmosphères éthérées et méditatives. Son dernier disque, An Age Of Wonder (signé chez La Station Radar), présente une musique apaisante et élévatrice. Fermez les yeux, tout va bien se passer.

 

Astreinte + 13 B’Ak’Tun (Das Simple)
> le 27 à Montévidéo

Das Simple propose une rencontre avec un percussionniste traditionnel, dans un concert inédit mélangeant rythmiques à la guitare, batterie et basse du groupe de math-rock-noise local. A cela s’ajoutera la prestation d’Astreinte, une formation évolutive (entre six et dix musiciens), délivrant du noise sublime et jusqu’au-boutiste dans une offrande frénétique. Comme un roc massif, fier, et inquiétant à la fois.

 

D’Aqui Dub Vs Nicolas Dick + Fillette
> le 31 à la Machine à Coudre

Soirée de clôture du festival. Le chanteur-guitariste du groupe industriel Kill The Thrill rencontre la formation d’Aqui Dub, « entre transe occitane et chamanisme urbain », au spectre musical des plus larges. Un moment qui promet une fission dub/indus/post-rock et une conscience collective et évocatrice des différents univers culturels. En première partie, le très bon trio local Fillette, qui « court dans tous les sens en se cognant sur les bords. »

 Nicolas Debade