Pablo Picasso maquette de decor du ballet_Tricorne © RMN Grand Palais Musee national Picasso Paris

Les expositions Picasso à la Veille Charité et au Mucem

Inspirations / Expirations

 

L’amour pour Picasso est déclamé haut et fort à Marseille à travers deux expositions qui communiquent entre la Veille Charité et le Mucem. Ou comment voir double peut permettre d’y voir plus clair…

 

Sachant que Pablo Picasso, artiste touche-à-tout qu’on ne présente plus, est l’auteur de près de 50 000 œuvres conçues sur plus de quatre-vingts ans, on ne s’étonnera pas de l’inauguration, en janvier 2017, de Picasso-Méditerranée, une série d’expositions sur trois ans dans une soixantaine d’institutions internationales. Pour ce qui est du territoire provençal, après Botero, dialogue avec Picasso à l’Hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence, c’est au tour du Centre de la Vieille Charité et du Mucem de nous nourrir de poésie artistique avec Picasso, Voyages imaginaires.

La vie artistique de Picasso s’avère si riche qu’un grand nombre de thèmes d’exposition était possible : sur son courant phare, le cubisme, sur les couleurs de ses « périodes » (bleue, rose), sur l’influence du militantisme sur son œuvre (dénonciation du franquisme, de la guerre, engagement communiste…), ou encore sur le rôle des femmes à travers ses portraits. La double exposition marseillaise adopte un parti-pris bien plus original.

D’un côté, l’artiste a peu voyagé, restant en Europe, et retournant régulièrement vers le sud de la France. Il a en revanche reçu et accumulé une grande collection de cartes postales en provenance de proches, amis, et artistes. Un regard fin sur cette relation épistolaire au long cours permet de comprendre en grande partie ses inspirations.

D’un autre côté, Picasso s’est aussi intéressé à des branches artistiques éloignées de son travail le plus connu de peintre et sculpteur, comme le cirque, le théâtre de figure et le bal populaire. Il a alors infusé son art dans des costumes et décors qu’il a conçus pendant la Première Guerre mondiale.

Ainsi, dans le premier cas, il est plutôt question d’inspirations, quand le deuxième concerne plutôt des « expirations » de l’artiste. Les commissaires d’exposition ont eu l’idée de monter un événement couplant ces deux explorations, en mettant en regard des œuvres et objets à consonance archéologique et anthropologique, issus des collections du Centre de la Vieille Charité et du fonds muséal du Mucem, avec des œuvres de Picasso évoquées ou présentées.

Au Centre de la Vieille Charité, un parcours en escargot emmène le visiteur dans un dédale de salles trouvant son apogée dans la coquille de la chapelle et sa coupole baroque. En guise de minotaure, fameux avatar de Picasso, nous attend au bout de ce labyrinthe sa série de bronzes Les Baigneurs, peut-être pour nous rappeler que la mer n’est jamais loin de Picasso dans ses voyages ou comme un simple clin d’œil à l’emplacement géographique de Marseille.

Tout au long du chemin, plus de quatre-vingt-dix œuvres du maître sont disposées telles des étapes spatio-temporelles. On s’y arrête pour découvrir l’influence des événements tragiques (perte de proches, violence de la guerre civile espagnole) ou heureux (rencontres amoureuses) sur l’émotion qui se dégage de son travail, et des moments artistiques de la vie de Picasso face à des œuvres qui l’ont inspiré, issues de l’art antique et des arts africains notamment. On découvre alors, stupéfait, comment les arts primitifs ont pu se glisser dans les œuvres de Picasso, à l’instar des yeux de ce masque africain que l’on retrouve dans le centre de ses guitares, ou encore comment les formes généreuses de cette grande Baigneuse évoquent avec tant de force une statue antique.

Plus que la lumière, le choix des œuvres et la scénographie permettent de guider le regard dans ces mises en correspondance. Le meilleur exemple en est peut-être cette peinture de Jacqueline Roque, dont le visage égyptien doté d’un œil Oudjat regarde littéralement une sculpture antique égyptienne voisine.

Point besoin de long voyage pour rejoindre le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, qui accueille le deuxième volet de l’exposition. Ici, l’espace s’avère certes plus restreint, mais la visite n’en est pas moins surprenante. Il faut dire qu’être submergé d’entrée par des musiques et dialogues extraits de pièces de théâtre populaire, et par la vision de personnages costumés grandeur nature face à des rideaux dans un nuancier de rouges, ne correspond pas exactement à l’idée que l’on se fait de Picasso. En trois temps, trois mouvements (« Costumes », « Scénographie » et « Rideau »), les commissaires d’exposition déroulent la justification de ce choix de forme comme de fond.

Picasso a collaboré à la création de costumes et/ou de décors sur une quinzaine de pièces de théâtre et de danse, dont six pour les Ballets russes fondés par Serge de Diaghilev, qu’il rencontre en 1916, alors qu’il est en résidence en Italie. L’influence du cubisme, à l’initiative duquel se trouvent Picasso et Georges Braque, se manifeste avec la prééminence de figures géométriques, source de poésie visuelle, dans les rideaux, tenues, et objets de scène créés par l’artiste. La géométrie se révèle en effet comme un moyen de ramener l’émotion suscitée par le portrait à son essence même, par une esthétique qui va à l’essentiel. Un des principes du cubisme n’est-il pas de représenter les choses telles qu’elles sont, à l’intérieur, plutôt que telles qu’on les voit, à l’extérieur ? C’est également une manière de mettre sur un pied d’égalité des visiteurs de différentes générations. Avec des costumes aux formes géométriques, adultes et enfants pourraient aussi capter le message artistique directement.

Le travail de Picasso qui nous est présenté ici témoigne de son intérêt pour la liberté créative du théâtre populaire. Elle n’est pas réservée aux bourgeois avec des figures hautes en couleur comme Arlequin, Polichinelle, ou Pierrot. Quand l’on sait que l’artiste avait adhéré au Parti communiste, on comprend mieux aussi son attrait pour ces arts militants.

D’autres raisons expliquent probablement l’intérêt de Picasso pour le théâtre. Avec la peinture, qu’affectionne tant l’artiste, n’est-ce pas un art qui permet de générer des images, de l’illusion, pour mieux dépeindre le monde dans lequel nous vivons ?

Bref, aucune excuse n’est permise pour ignorer cette double exposition qui montre que tout est loin d’avoir été déjà dit sur Picasso.

 

Guillaume Arias

 

  • Picasso, voyages imaginaires : jusqu’au 24/06 au Centre de la Vieille Charité (2 rue de la Charité, 2e).

    Rens. : www.musees.marseille.fr

  • Picasso et les Ballets russes: jusqu’au 24/06 au Mucem (7 promenade Robert Laffont, 2e).

    Rens. : www.mucem.org

Pour en (sa)voir plus : picasso-mediterranee.org