États d'urgence

États d’urgence

C’est peut-être le plus grand paradoxe de Marseille : ses dirigeants ne l’aiment pas. Alors oui, ils ne manquent pas de vanter sa lumière à couper le souffle, qui lui vaut le débarquement incessant d’équipes de tournage cinématographique. Certes, ils se gargarisent d’événements « spectaculaires » qui la choisissent pour s’y établir (la Capitale européenne de la Culture ou le Red Bull Crashed Ice par le passé, le Sommet des deux rives cette année, Manifesta et l’élection de Miss France l’an prochain…), prétextant un semblant de décentralisation…

Et puisqu’elle n’a, semble-t-il, pas assez d’arguments naturels (ses calanques, son port…), ils la maquillent comme une voiture volée, à coups de ravalements de façades et de centres commerciaux tout neufs, histoire de protéger l’image de carte postale qu’ils tentent de promouvoir pour attirer des croisiéristes.

Mais ils ne l’aiment pas vraiment ; ils ne gouvernent pas pour elle. Pire, ils gouvernent contre elle, du moins contre ses habitants. La lecture régulière de Marsactu ou, plus simplement, l’expérience que les Marseillais, dans leur grande majorité, en font quotidiennement, en sont de terribles révélateurs. L’urbanisme ? Une ville coupée en deux, dont une bonne partie est abandonnée aux mains de promoteurs immobiliers peu scrupuleux et aux marchands de sommeil, avec des opérations de « requalification » consistant à écarter les plus pauvres vers la périphérie. Et l’on ne parle même pas du drame du 5 novembre dernier, qui a coûté la vie à huit de nos concitoyens et mis près de 3000 d’entre eux à la rue… Les transports ? Sans voiture, point de salut : interruption des services de bus après 20h30, deux lignes de métro pour un territoire deux fois plus vaste que la capitale (ridicule), superposition des lignes de métro et de tramway… L’éducation ? De nombreux établissements indignes et dangereux, un manque criant de moyens et de personnel, des PPP pour la rénovation des écoles publiques, une pénurie de places en crèche, assortie d’attributions des places selon des critères nébuleux… L’environnement ? Des espaces verts quasi inexistants et peu entretenus, une pollution record, une gestion des déchets désastreuse… La culture ? À l’exception de quelques privilégiés qui concentrent toute l’attention (et les subventions) des pouvoirs publics, c’est devenu un sport de combat… Le système D prédomine, alors que le tissu associatif local s’avère d’un dynamisme exceptionnel ; des espaces de création et des bibliothèques se ferment (et l’on ne parle même pas de leurs horaires d’ouverture insensés) ; les musées municipaux font grise mine… Le sport ? Place au grand spectacle ! Mais si vous voulez (apprendre à) nager, contentez-vous de la grande bleue, les (rares) piscines sont presque toujours portes closes.

La liste est loin d’être exhaustive et le constat, à moins d’un an des municipales, a de quoi nous alarmer. Pourtant, on continue à l’aimer, cette cité si vivante et populaire, dont la beauté et l’âme « rebelle » doivent tant à ses habitants. Alors à nous de la reprendre en mains. C’est le but et tout l’intérêt des États généraux de Marseille, initiés par de nombreux collectifs de quartier, d’associations citoyennes, d’ONG et de syndicats, qui se tiendront les 22 et 23 juin prochains à la Fac Saint-Charles.

 

CC