Pierre Béziers dans Baga

L’entretien | Pierre Béziers du Théâtre du Maquis

À l’occasion de ses quarante ans d’existence, la troupe aixoise du Théâtre du Maquis présente un spectacle spécial, Seule la légende est vraie, série théâtrale en quatre épisodes. Nous sommes revenus avec l’un de ses fondateurs, Pierre Béziers, sur son histoire, jalonnée d’expériences marquantes, de lieux, de rencontres et d’un lien fort avec le public.

 

 

Pouvez-vous nous raconter la genèse de la compagnie ?

La compagnie a été créée il y a quarante ans par moi et ma compagne Florence Hautier. J’étais ingénieur à Gardanne, puis j’ai commencé à faire du théâtre, d’abord en amateur et ensuite avec des professionnels. J’ai été à la fac puis j’ai commencé à faire des mises en scène. Le parcours de la compagnie est assez spécifique car nous avons toujours monté des créations maison ou bien des adaptations de textes littéraires contemporains ou anciens, mais toujours réécrits dans une langue contemporaine. J’ai commencé relativement tard, je ne connaissais pas du tout le milieu. On a eu un parcours assez rapide, on était dans la cour des grands en peu de temps.

Nous étions très souvent présents au festival d’Avignon, il y avait beaucoup de spectateurs qui nous suivaient d’une année sur l’autre. Nous avons beaucoup tourné à l’étranger, comme en Espagne et en Nouvelle-Calédonie.

 

Et l’Ouvre-Boîte (le lieu que la compagnie a créé à Aix en 2019, ndlr) ?

Nous avions pendant longtemps un lieu de répétition qui nous était mis à disposition gratuitement par la mairie d’Aix. C’était un lieu un peu secret, où on ne pouvait accueillir le public, on y pratiquait que des répétitions. Mais il a fallu le quitter, donc on a commencé à chercher un autre endroit. Finalement, j’avais un terrain devant ma maison aixoise, et j’y ai construit à la fin de l’année 2019 un théâtre en bois pour la compagnie. On a été aidés par des financements participatifs assez importants, donc le lieu est très bien équipé.

 

Il y a donc de multiples activités au sein du théâtre ?

La caractéristique de ce lieu est la création et la proximité. On a monté plusieurs spectacles depuis sa création, on accueille des compagnies en résidence, mais on n’y fait pas d’atelier, rien de régulier. Pendant la crise sanitaire, mis à part le long confinement du début, on n’a pas arrêté d’accueillir des compagnies. On a réussi l’exploit que les résidences soient gratuites et que toutes les sorties de résidence soient payées. On aimerait continuer cela.

Donc tout ce qu’on fait est à proximité, et cela s’incarne dans des projets comme ce qu’on appelle une coproduction de quartier. Il s’agit d’un appel à projets national et un jury de quartier va choisir le projet. Il y a alors des réunions où l’on débat sur ce qu’on a envie de voir à l’Ouvre-Boîte. C’est un projet de proximité qui mobilise beaucoup le quartier. Ensuite, nous sommes dans le conseil d’administration du centre social, nous avons des relations avec les petits quartiers et puis on organise un cercle de lecture au sein duquel les gens du quartier se réunissent pour partager des livres. On essaye d’attirer le public qui peut venir à pied au théâtre. Il y a aussi la proximité avec la jeunesse, parce qu’on est dans le quartier universitaire, donc on a beaucoup de relations avec les étudiants.

 

Pour rester sur cette thématique de la géographie, qu’est-ce que le fait d’avoir joué à l’étranger vous a apporté, notamment au regard de votre vision du métier ?

Il y a surtout le fait de voir d’autres publics qui entre en jeu. Par exemple, on est allé au Vanuatu, un endroit où peu sont allés. On n’y voit quasiment jamais de représentations théâtrales. Nous ne pouvions pas emporter de décors et donc on a joué comme on pouvait. Il y avait peut-être 500 ou 600 personnes, c’était en extérieur. À la fin, personne n’applaudissait, on ne comprenait pas vraiment. Finalement, ils se sont mis en file indienne pour venir chacun nous remercier. Certains nous ont offert des cadeaux, il y avait une émotion incroyable. Après cela, on se dit que l’on ne fera plus jamais du théâtre de la même manière. On a l’impression qu’on sait ce qui est important, ça change le cœur de métier. On va essayer de raconter tout cela dans Seule la légende est vraie.

 

Comment écrivez-vous vos textes ?

Nous avons souvent utilisé la forme du cabaret dans nos représentations. Il y a donc une suite de scènes articulées autour d’un thème. On aime bien mélanger le grave et le burlesque. J’écrivais les textes, et ma fille Jeanne également. Elle a écrit beaucoup de textes, de chansons, de textes chantés. Puis durant les répétitions, il y a des propositions des comédiens. Soit ils s’emparent de nos textes et les transforment un peu, soit ils amènent des propositions complètes et je les réécris, on les réexpérimente. Ça s’écrit comme ça, petit à petit, entre le plateau et ma table. Il ne s’agit pas d’un théâtre de l’intime ou de l’introspection. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’émotion, mais on est plutôt dans des aventures collectives. Ce n’est peut-être pas tout à fait systématique, mais on privilégie cette forme-là. De plus, on veut toujours montrer la boîte à outils, c’est-à-dire que nous ne sommes pas dans l’illusion. Notre jeu est toujours en appui sur le public, on ne fait pas semblant qu’il n’est pas là. On perce le quatrième mur, les spectateurs sont témoins de quelque chose qui est en train de s’écrire, de se faire. Généralement on voit tout, très souvent on se maquille ou on s’habille sur scène.

 

Concernant Seule la légende est vraie, d’où est venue l’idée de faire quatre cabarets différents ?

Ce que l’on veut faire, c’est une espèce de promenade à travers toutes les créations de la compagnie. Chaque cabaret va représenter dix ans de la compagnie. Évidemment, on ne peut pas tout prendre, on va sélectionner des moments qui nous ferons plaisir, qui ont une importance pour nous. Il y a beaucoup de chansons parce que la compagnie est devenue petit à petit très musicale. On a des sortes de réserves de choses à chanter. Nous sommes dans le souvenir, mais sans pour autant nous interdire d’inventer. C’est pourquoi l’on dit que seule la légende est vraie, c’est-à-dire que l’on se permet de visiter nos souvenirs sans se forcer à la fidélité.

 

Propos recueillis par Lara Ghazal

 

 


Quarante ans en quatre épisodes

Quatre cabarets, chacun représentant une décennie théâtrale, c’est ce que propose la compagnie aixoise du Théâtre du Maquis pour fêter ses quarante années d’existence. Étalé sur quatre soirées, cet événement propose de revenir sur les temps forts ayant marqué la troupe. Au programme, une traversée où réel et imaginaire se confondent, prenant appui sur les souvenirs pour les réinventer à souhait. Les arts se mélangent, entre théâtre, musique et gastronomie. Il y en a donc pour tous les goûts. L’idée, c’est de revenir sur les créations du passé, avec un regard au présent. Nous avons droit à des images d’archives, des chansons de scène, renvoyant aux spectacles construits des années 80 à aujourd’hui. La troupe se détache donc du souci de la vérité et prend le parti pris de se réapproprier son histoire, afin de mieux la raconter.

Lara Ghazal

Seule la légende est vraie par le Théâtre du Maquis : du 10 au 13/05 à l’Ouvre-Boîte (13 Rue Joseph Jourdan, Aix-en-Provence).

Rens. : https://www.theatredumaquis.com/