Pendant que les champs brûlent…

Pendant que les champs brûlent…

Dans une récente interview, le précieux François Gemenne, politologue et éminent membre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), s’interrogeait sur l’efficacité de la communication de l’organisation scientifique en ces termes : « On culpabilise les gens. Les scientifiques ont tendance à sonner l’alerte plutôt que de donner des pistes de solutions. C’est comme si dans une maison en feu, quelqu’un n’arrête pas de gesticuler dans les couloirs et de hurler “Au feu !” Au bout d’un moment, cette personne va vous énerver, parce que vous voudriez qu’elle vous dise comment éteindre l’incendie, où se trouve l’extincteur. »

L’étude climat Obs’COP 2022 menée l’an passé par Ipsos nous permet de filer la métaphore ainsi : si cent personnes se trouvent dans la maison au moment de l’incendie, 37 d’entre elles vont affirmer — contre le lanceur d’alerte et, surtout, contre l’évidence — qu’il n’y a pas le feu.

37 % des Français se disent climatosceptiques : voilà une statistique pour le moins glaçante alors que les conséquences du changement climatique n’ont jamais été aussi perceptibles. Une statistique qui trouve hélas un écho dans la réponse ahurissante du PDG de Total, Patrick Pouyanné, à la requête faite par le climatologue Jean Jouzel devant une assemblée du Medef d’arrêter au plus vite d’investir dans les énergies fossiles au profit des renouvelables : « Je respecte l’avis des scientifiques, mais il y a la vie réelle. » Insensé. Dans notre maison métaphorique, monsieur Pouyanné aurait sans doute continué à stocker son pétrole à côté du départ de feu…

Comme l’a rappelé l’ancien vice-président du GIEC dans les colonnes des Échos, « la vie réelle, c’est aussi l’équivalent de la surface de la France qui a brûlé au Canada, les canicules et leurs morts… » Le « aussi » est ici de trop : il n’y a pas de réalité alternative. Car la vie réelle, c’est aussi une entreprise qui se gave de pognon en exploitant du pétrole et du charbon en mode « après moi, le déluge ». Il est néanmoins difficile de penser que nos 37 %, à commencer par monsieur Pouyanné, soient dans un déni de réalité. Il y a plutôt fort à parier qu’il s’agisse d’un refus de réalité. Et que la phrase prononcée il y a tout juste vingt et un an par Jacques Chirac (pourtant pas le plus moderne d’entre nous) au IVe Sommet de la Terre soit plus que jamais d’actualité : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. »

 

CC