Edito n°153

Edito n°153

A force de la ramener à longueur d’éditos râleurs et enflammés, on en avait presque oublié qu’il existe encore, malgré tout, des raisons d’être contents de vivre au XXIe siècle. La semaine dernière par exemple, notre petit laïus se transformait en pamphlet contre la nouvelle loi sur le téléchargement, mettant de côté l’objet même de la controverse… (lire la suite)

Le meilleur des mondes (2)

A force de la ramener à longueur d’éditos râleurs et enflammés, on en avait presque oublié qu’il existe encore, malgré tout, des raisons d’être contents de vivre au XXIe siècle. La semaine dernière par exemple, notre petit laïus se transformait en pamphlet contre la nouvelle loi sur le téléchargement, mettant de côté l’objet même de la controverse : comment Internet a révolutionné notre rapport aux choses, à la musique en particulier. Ceci dit sans angélisme aucun : nous restons conscients des problèmes que pose ce média, conscients des dérives qu’il induit, conscients du débat sur la propriété intellectuelle qu’il impose. Mais, au-delà des considérables améliorations qu’il a apportées à notre propre travail (mais comment ils faisaient avant ?!), nous pouvons également constater quel formidable espace de liberté il représente. Et si le meilleur des mondes — le vrai, pas celui d’Huxley — existait ? Un monde réellement égalitaire, où votre voisin qui gratte sur sa guitare à ses heures perdues aurait le même espace pour s’exprimer que Madonna. Un monde sans idoles, sans hiérarchie. Notre Monde. Mon Monde. MySpace[1]. Plus qu’un site à succès, un véritable phénomène, qui a permis l’éclosion au grand jour d’une foule de petits groupes sans moyens[2], s’octroyant ainsi en quelques années la place qu’occupait MTV dans le paysage musical occidental. A une différence près, mais quelle différence : quand le robinet à clips illustre l’emprise capitaliste sur la « culture », MySpace véhicule des valeurs étonnement humanistes, pour ne pas dire marxistes[3] ! Pour comprendre de quoi il retourne, un peu d’histoire s’impose. En 1967, le sociologue américain Stanley Milgram formule le concept de « Small world phenomenon », établissant qu’il existe en moyenne six intermédiaires entre deux personnes prises au hasard sur la planète. Inspirés par cette idée, qui unit étrangement logique et poésie, les sites de communautés et de « réseautage » (Networking) font leur apparition en 2003. Friendster lance les hostilités, rejoint quelques mois plus tard par MySpace. Leur fonctionnement est plus que simple : par un principe de chaîne, chaque nouveau membre accroît le réseau de contacts, directement, puis indirectement en invitant ses propres amis, virtuels ou pas, à rejoindre la communauté. Et ainsi de suite jusqu’à réduire le nombre d’intermédiaires établi par Milgram, et faire d’une légende — tout le monde est relié — une réalité. Numéro un des networkers, MySpace s’est ensuite spécialisé dans la musique, un peu malgré lui, la scène indie américaine s’étant emparée du phénomène, qui permet aux musiciens de s’affranchir totalement des relais médiatiques traditionnels. On connaît la suite… Aujourd’hui, même Björk a sa page sur le site. Plus près de nous, Alif Tree, Neurotic Swingers et Nation All Dust ont la leur. Et, qui sait, votre voisin qui gratte a peut-être aussi la sienne…

Texte : CC
Photo : Emmanuel Germond

Notes

[1] www.myspace.com

[2] Notamment les phénomènes indés Clap Your Hands Say Yeah ! ou Spinto Band, sans parler des Anglais Arctic Monkeys qui, une fois signés, ont fait plus fort que les Beatles !

[3] Un comble pour qui connaît l’actuel propriétaire du site : Rupert Murdoch, magnat australien de la presse qui possède également la chaîne de télé la plus conservatrice du Monde, l’Américaine Fox News.