Edito n° 194

Edito n° 194

« J’annonce officiellement mon ralliement à Nicolas Sarkozy. Quand vous voulez pour un jogging républicain, avec Faudel et Mireille Mathieu au Bois de Boulogne… »…

Je jogge donc je suis

« J’annonce officiellement mon ralliement à Nicolas Sarkozy. Quand vous voulez pour un jogging républicain, avec Faudel et Mireille Mathieu au Bois de Boulogne… »
En bon sniper de l’information, Jamel a su, à l’instar des Guignols qui en font leur beurre quotidien, capter l’air du temps en ranimant l’encéphalogramme plat de la cérémonie officielle de clôture de Cannes et en raillant ce qui est devenu l’activité sportive la plus hype de France et de Navarre : le jogging. Rien d’étonnant à cela : tout comme son ancêtre la gym (qui, rappelons-le, a connu son heure de gloire sous les régimes fascistes au XXe siècle), et à l’inverse de son fumeux avatar le footing (à pratiquer affublé d’un vieux survêt’ après un samedi soir bien arrosé), le jogging (du verbe anglais « to jog » : tenir la distance, en gardant la même cadence) a bien du mal à cacher ses tendances droitières.
Accessible à tous — pas besoin de débourser le moindre centime pour s’exercer, pas de discrimination sociale ni raciale, et puis on peut jogger PARTOUT (le bitume — enfin… jusqu’à nouvel ordre — appartient à tout le monde) — et dénué de tout esprit compétitif (sauf à frôler la crise cardiaque en défiant la grande faucheuse), le jogging préférerait le rose-rouge au bleu.
Il est cependant prudent de se pencher plus avant sur la question avant de tirer de trop hâtives conclusions. Car, au fond, qu’évoque le jogging ? L’absence de plaisir assurément, la souffrance s’associant à l’ennui dans une pratique plus régie par le devoir que par le plaisir. D’ailleurs, le jogging peut se pratiquer devant la télé, tapis roulant à l’appui. Preuve en est que faire du jogging, c’est tellement se faire suer (dans tous les sens du terme) qu’on se sent obligé d’associer cette activité à une autre, débilitante (évidemment, on va pas regarder Arte en faisant du sur place… Par contre, un petit Attention à la marche — qui, dans cette configuration joggesque, n’a jamais si bien porté son nom…).
Notons au passage la nuance sémantique entre « jouer » (au ballon, au croquet, au con…) et « faire » son jogging (comme on se farcit une corvée). Elle n’est pas innocente : le jogging ne connaît pas les mots « ludique », « amusant », « drôle »… Donc, là où il y a jogging, il n’y a pas de plaisir. Et alors, nous direz-vous ? Après tout, la notion de plaisir n’est pas l’apanage de la gauche. Certes. En revanche, quand on se penche sur les valeurs véhiculées par la joggerie, ses penchants droitiers ne suscitent plus vraiment de doute… A commencer par l’esprit de compétition, car si au départ, on jogge seul pour se maintenir en forme(s), on finit toujours par s’adonner à cette activité pour dépasser — soi-même, l’autre et la voisine sexy dont on mate les fesses au passage. Autant de fondamentaux qui ont fait le lit du libéralisme (car comme on fait son jogging, on se couche…) : dans le sport en effet « prévalent l’action individuelle et l’exaltation de la libre initiative… »[1]. Et que dire de ce combat contre la montre (et donc le temps) que mène le petit jogger sans talonnettes, symbole fort d’un monde où tout nous pousse à courir (fuir ?) et où certains décident que d’autres doivent courir plus ou moins vite ? Enfin, jogger parfaitement ne revient-il pas, in fine, à maîtriser son corps, sa vie, son destin ? Et sa chute… La chute, si chère à Albert Camus, qui en a fait l’un de ses thèmes de prédilection dans l’un de ses plus beaux essais, Le mythe de Sisyphe. Sarkozy sisyphien ? Ce serait la meilleure nouvelle depuis un mois.

CC/HS

Notes

[1] Stefano Pivato in Les Enjeux du sport, collection XXe siècle, Casterman, 1994.