Edito n° 175

Edito n° 175

Depuis le 6 décembre, La France possède sa chaîne internationale au nom tapageur de France 24. Une alliance contre-nature entre TF1 et France 2 a été nécessaire pour boucler le budget de ce qui devrait être la concurrente… (lire la suite)

Avoir ou être

Depuis le 6 décembre, La France possède sa chaîne internationale au nom tapageur de France 24. Une alliance contre-nature entre TF1 et France 2 a été nécessaire pour boucler le budget de ce qui devrait être la concurrente de CNN et BBC World. Pour les esprits chagrins, sachez que son président Alain De Pouzilhac déclare que « nous sommes indépendants du pouvoir politique. Question de crédibilité ! » Nous voilà rassurés, d’autant plus que M. De Pouzilhac n’est pas moins que l’ex-communicant de Jacques Chirac et que TF1 et France 2 sont les mètres-étalons de l’indépendance. Ouf, l’honneur est sauf. D’où la question : à quoi servent les médias indépendants ? Puisque tout a été prévu, à quoi bon perdre son temps, son énergie et son argent dans des ersatz nommés journaux, sites web ou TV associative ? Leur seule raison d’être : proposer une information soit complémentaire, soit dissonante. Tout l’enjeu lorsque l’on adhère à ce principe reste l’objectivité. Mot galvaudé et vidé de son sens qui fait appel à une introspection ne laissant place ni aux intérêts personnels, ni à la croyance, ni à la culture du milieu. Utopique lorsque l’on est un être humain, en prise avec le monde qui nous entoure… car tout est sujet à controverse. Dès lors, l’objectivité devrait laisser place à l’éthique, qui accepte certaines affinités du moment qu’elles correspondent à une ligne de conduite noble et morale. Dans les médias indépendants, comme leur nom l’indique, l’éthique est supposée avoir une place prépondérante, façonner la ligne éditoriale. L’enjeu étant de s’y tenir. Pour Ventilo, il s’agit de donner la voix à des initiatives qui nous interpellent par leur démarche altruiste et passionnée, mais aussi maintenues dans un injuste anonymat. Le danger est la tentation d’en faire une tribune pour ses états d’âme ou ses choix personnels, ce qui relève plus de la fonction du blog (ou journal intime), tentation individualiste bien loin des prérogatives d’une presse citoyenne.
Souvent brocardée comme l’antithèse de la liberté de penser dans les médias : la publicité. A liberté rédactionnelle égale, vaut-il mieux aller chercher l’argent qui finance la presse dans la poche du lecteur ou dans celle du grand capital ? Ce grand épouvantail n’impose, à notre niveau de journal local gratuit, aucun choix rédactionnel là où d’autres annonceurs culturels locaux tentent de mettre la pression. Loin d’être schizophrène, il est même plutôt malin d’en profiter. Qu’est ce qui fait peur aujourd’hui aux grandes compagnies qui s’invitent de plus en plus dans les affaires d’Etat ? Par vraiment le vote, un bon « citoyen » étant avant tout quelqu’un qui achète, de droite ou de gauche (Malongo et son café équi-rentable l’a bien compris). Mais plutôt le boycott, le refus d’achat. L’arme absolue des médias est d’avoir un lectorat assez cultivé pour que la publicité corporative n’y ait aucune prise. Et si l’on se pose la question de savoir pourquoi ces annonceurs continuent à investir, il suffit de se rappeler que la presse indépendante, citoyenne, est peut-être le dernier lieu où les consommateurs restent imperméables à la pub : un immense marché à conquérir qui ne pense qu’à « acheter intelligent »[1]. En 2006, le pouvoir est dans l’achat. Bien que le but ne soit pas de stigmatiser la culture de masse (et d’être taxé d’arrogant et élitiste), il n’est pas non plus dans notre rôle de lui donner un écho… Difficile de séparer le consommateur, avec ses ambiguïtés, du professionnel !

Damien Boeuf

Notes

[1] Petites séries de graphistes-créateurs pour les vêtements, petits labels indépendants talentueux pour la musique, petits producteurs pour les primeurs, petits restos-bars et cafés-concerts pour sortir…