Edito n° 162

Edito n° 162

Le vent se lève de Ken Loach, donc. Parce que les temps sont durs peut-être. Parce que la guerre, civile ou non, et le rapport colonisateurs/colonisés est dans l’air du temps. Parce que les jurés, entre deux montées des marches en Gucci-Prada-Chanel hors de prix culpabilisent un peu. Parce que le vent, justement a trop soufflé. Et puis parce qu’il n’y avait peut-être rien d’autre à primer… (lire la suite)

Un before un peu mou

Le vent se lève de Ken Loach, donc. Parce que les temps sont durs peut-être. Parce que la guerre, civile ou non, et le rapport colonisateurs/colonisés est dans l’air du temps. Parce que les jurés, entre deux montées des marches en Gucci-Prada-Chanel hors de prix, culpabilisent un peu. Parce que le vent, justement a trop soufflé. Et puis parce qu’il n’y avait peut-être rien d’autre à primer.
Aucun des films en compétition n’a semble-t-il électrisé les festivaliers. Entre le hors compétition qui squatte les médias pendant une semaine — Da Vinci Code ou « le mystère du navet qui fait parler » — et les films en compétition qui sont là pour booster leur sortie en salle simultanée (Marie-Antoinette, Volver), tout ça a un peu le goût du consensus et des petits arrangements entre amis.
Souvenons-nous que Ken Loach a tout de même concouru huit fois en compétition officielle et n’avait jusque-là arraché « que » deux Prix du jury et un « Prix du cinéma contemporain » (sic). Cette Palme est-elle un prix de la fidélité ? Il faudrait pour cela que les officiels du Festival aient une quelconque influence sur le jury… La Palme attribuée à un Théo Angelopoulos hyper ronchon en 98 laisse à penser que peut être, il serait possible, enfin on peut imaginer, que la diplomatie ait son mot à dire au moment du palmarès.
Oui, Il est loin le temps où Maurice Pialat (Palme d’Or en 87 avec Sous le soleil de Satan) renvoyait d’un poing rageur leur indignation aux festivaliers. Et surtout, on commence à regretter le temps des Palmes d’Or qui « déchirent ».
Car enfin, que doit exactement récompenser la Palme d’Or ? Puisque aucune définition officielle n’est gravée dans le marbre, profitons-en pour déposer la nôtre sur le papier : la Palme d’Or idéale, c’est un film qui par son audace, la vision personnelle qui le traverse et les réactions de sidération qu’il engendre, révolutionne notre vision du cinéma. La Palme doit récompenser un film qui laisse son spectateur bouche bée, remué, bref changé. La Palme d’Or idéale, c’est un film qui donne envie de faire du cinéma. Citons ainsi arbitrairement et sur trente ans, Taxi Driver de Scorsese (1976), Le Tambour de Schlöndorff et Apocalypse Now de Coppola (ex-æquo en 1979), Paris Texas de Wenders (1984), Sexe mensonge et vidéo de Soderbergh (1989), Wild at heart de Lynch (1990), Barton Fink des Cohen (1991), Pulp Fiction de Tarantino (1994), Dancer in the dark de Lars von Trier (2000) — qui aurait dû l’avoir avec Breaking the waves en 96 —, Elephant de Gus Van Sant (2003). Oui, ça fait beaucoup d’Américains, mais on n’y peut rien si depuis la Nouvelle Vague, le cinéma européen s’est un peu endormi.
Difficile alors donner la Palme à Almodovar ou à Sofia Coppola qui feront ou ont déjà fait mieux. Quant à Bruno Dumont, il semble abonné au Grand prix : la malédiction de Poulidor frappe aussi à Cannes… Autre prétendant déçu, Inarritu et son Babel. Il peut se consoler en jetant un œil à la liste des génies qui, comme lui, se sont vus décerner le prix de la mise en scène. Alors oui, on a vu pire que cette cinquante-neuvième édition, mais on a aussi vu mieux. Le bruit court que ce Cannes 2006 n’était en fait que la répétition générale de la soixantième édition. Tout le monde était là et incarnait son rôle, mais avec la retenue de ceux qui ne veulent pas abîmer leur tenue de gala avant l’heure. En 2007, les L’Oréal girls, hardeuses et autres parasites de projecteurs cannois seront sans doute encore plus envahissants qu’ils ne le sont déjà. Mais on peut espérer qu’un film de cinéaste, jouissif, osé, novateur, voire révolutionnaire, leur vole enfin la vedette et fasse souffler un peu plus de passion que de vent sur la Croisette.

SC