Edito 307

Edito 307

Un baiser s’il vous plaît

 

Marseille n’en finit plus de faire parler d’elle. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à deux mois de la Capitale européenne de la culture, les « dizaines de millions de touristes » attendus par la mairie (dixit un communiqué de presse du service com’ de la ville, dont on rit encore) pourraient se montrer quelque peu réticents à l’idée de se promener sur le Vieux-Port… « Tu es laide, vu de l’extérieur », aurait pu chanter Gainsbourg en se fiant au traitement que les médias réservent à la cité phocéenne. Et si ces derniers n’hésitent pas à noircir le tableau, on ne saurait leur donner complètement tort. Il y a d’abord eu cette série de règlements de compte à coups de Kalachnikov, qui auraient transformé la ville en un sanglant chantier à côté duquel Damas fait figure de havre de paix (cf. Les Guignols). Puis, dans les quartiers Nord, une brigade anti-criminalité corrompue à un tel degré qu’elle ferait passer les flics de la série Braquo pour les gendarmes de Saint-Tropez. Au vu des derniers événements ayant secoué la ville, on en est presque à se demander si Manuel Valls va attendre encore longtemps avant de déplacer la place Beauvau sur la Canebière !
Du côté de la culture, et même si on en parle moins dans les médias nationaux (voire pas du tout, hum), le constat qui s’impose depuis quelques semaines n’est pas rose non plus. « On ne prête qu’aux riches », dit le proverbe. Les budgets institutionnels de la culture ne risquent pas de le démentir, comme l’explique, chiffres à l’appui, notre confrère Stéphane Sarpaux dans le dernier numéro de l’indispensable Ravi. Où l’on apprend que 58 % des budgets non dévolus aux équipements publics (qui aspirent à eux seuls 63 % du total) sont captés par les cent plus gros opérateurs culturels en PACA (1). Sachant que l’enquête en dénombre 5 400 dans la Région (sans compter ceux, nombreux, qu’elle a sans doute oubliés), le compte est vite fait, et pas bon du tout. On s’en doutait un peu, mais la pilule n’en demeure pas moins amère… Et que dire de l’imbroglio entre l’association Aix’Qui? et MP 2013, venue entacher un peu plus la Capitale avant même son inauguration ? Suite à la sortie du clip Algarade 2013 (2) par le groupe Mon Vier (dont l’un des musiciens, Patrick Daraji, dit « Garage », est également membre fondateur d’Aix’Qui?), la direction générale de Marseille Provence 2013 aurait en effet menacé d’annuler les financements promis à l’association, au motif qu’elle était « allée trop loin » (le clip montre notamment les deux membres du groupe se soulager sur la Maison diamantée, fief de MP 2013). Avant d’annoncer dès le lendemain, par la voix de La Provence, que « Garage » s’était mépris sur la question. Ou, plus probablement, de se rétracter in extremis en constatant l’ampleur que prenait l’affaire, notamment sur les réseaux sociaux.
Heureusement, il y a aussi des raisons de se réjouir : malgré ce climat quelque peu délétère, les artistes continuent de créer et les initiatives culturelles de proliférer, comme en témoigne ce numéro de Ventilo, dont l’agenda s’avère plutôt fourni malgré les vacances scolaires habituellement synonymes de désert culturel. Et puis il y a eu cette photo, prise un mardi par un reporter de l’AFP, qui n’a pas tardé à faire le tour du monde via le web. On peut y voir deux jeunes filles s’embrasser en pleine manifestation contre le mariage gay, sous le regard outré de quelques vieilles rombières de la très réac Alliance Vita. Le Baiser de Marseille ? Un joli cliché dont la fraîcheur est la plus belle des réponses aux idées rancies de certains, désormais un emblème planétaire du mouvement en faveur du mariage pour tous. Mais aussi, peut-être, le symbole d’un certain anticonformisme marseillais, une éclaircie dans un paysage désolé. En tout cas, on a envie d’y croire.

CC

Notes
  1. A lire également sur le site du Off de la Capitale : http://www.marseille2013.com/2012/ou-va-vraiment-largent-de-la-culture/[]
  2. http://www.youtube.com/watch?v=Bk8gdP6B6BE[]