Edito 216

Edito 216

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Une idée d’Eugénie

Surveiller et punir. Tel est le mot d’ordre des tenants de l’autorité à l’encontre des justiciables que nous sommes. Cette politique carcérale, théorisée par le philosophe Michel Foucault en 1975, est poursuivie aujourd’hui par nombre d’institutions, de la prison, donc, jusqu’à l’école, en passant par l’usine. Elle aboutit à ce que l’individu punisse lui-même son comportement, se sentant surveillé par un œil omniprésent. Dans la continuité de l’œuvre accomplie, le Parlement a adopté le 7 février dernier une loi instaurant une « rétention de sûreté » destinée à garder en prison un criminel ayant fini de purger sa peine. Sur la base du seul critère de sa dangerosité. La société a jugé et puni un homme, il lui a payé sa dette en retour, mais le voilà présumé coupable d’un crime qu’il pourrait commettre. Quelle avancée décisive dans la modernité !
D’ailleurs, le rapporteur de la commission des Lois ne s’y est pas trompé en indiquant à l’Assemblée que ce dispositif existe depuis longtemps en Allemagne. « Depuis 1933 », a-t-il précisé. Le Canard enchaîné a confirmé la date et complété l’information. Publiée au journal officiel teuton le 27 novembre 1933, cette « loi contre les récidivistes dangereux et sur les mesures disciplinaires pour améliorer la sécurisation » porte l’illustre signature du chancelier du Reich, Adolf Hitler. Une telle paternité n’a pas effrayé le Conseil constitutionnel français, qui n’a rien trouvé à redire à l’idée d’un internement préventif (1).
Protéger les éventuelles victimes mérite-t-il de saper les fondements de notre justice, parmi lesquels la présomption d’innocence ? Cette tendance à l’eugénisme social est-elle destinée à pénétrer l’inconscient collectif en brandissant au-dessus de nos têtes une menace potentielle ? Tous ne s’inquiètent pas. Dans un mouvement de balancier, tandis que se durcissent les règles d’un côté, de l’autre, les risques s’évanouissent. Le Garde des Sceaux a annoncé la provocante dépénalisation du droit des affaires. Un chef d’entreprise pique dans la caisse ? Truque ses comptes ? Il risque alors la prison, au même titre que n’importe quel voleur d’autoradio. Mais bientôt, ce vénérable col blanc jamais sali ne pourra être condamné qu’à des peines d’amende. Trop dur. « Selon que vous serez puissant ou misérable », faites confiance aux puissants.

Victor Léo

Notes
  1. A minima, nos « Sages » ont rappelé que la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères est un principe constitutionnel sur lequel personne, pas même le chef de l’Etat, ne peut transiger. Ce qui n’a pas empêché notre cher dirigeant de déclarer dans une interview au Parisien : « Il ne faut pas mettre la rétroactivité au service des criminels les plus dangereux. » []