Do Not Look Back With Regret de Davy Pieters

Retour de Scène | Do Not Look Back With Regret de Davy Pieters au Théâtre des Calanques, dans le cadre du festival Actoral

Tout est chaos

Au moment de l’arrivée du Covid, Davy Pieters commençait un projet sur l’immortalité. Le contexte lui a fait changer son angle d’approche et entamer une réflexion sur la perte sous toutes ses formes. Elle avait déjà abordé ce sujet avec son précédent spectacle, How Did I Die, présenté en 2018 au Festival Actoral.
Sa récente création Do Not Look Back With Regret, présentée au Théâtre des Calanques dans le cadre du focus néerlandais d’Actoral, parle autant de la disparition d’un monde que de la fragilité de nos existences, et de la beauté à s’y consacrer.

 

 

Sélectionnée avec deux spectacles pour la Biennale de Venise en 2018, reconnue pour son travail à l’intersection du théâtre et de la performance ainsi que pour son sens de l’expérimentation, la jeune metteuse en scène néerlandaise Davy Pieters avait déjà marqué les esprits lors de son premier passage à Actoral. Avec How Did I Die, elle explorait à la manière d’une enquête policière le conflit entre le désir et la dure réalité. Le meurtre d’une jeune femme donnait lieu à un compte à rebours de ses derniers instants qui plaçait le spectateur dans une position de détective.
Do Not Look Back With Regret 
est tout aussi mystérieux. Il est de ces spectacles qui n’autorisent aucune note durant son déroulement ; il vous tient tout entier chevillé à lui, une émotion-immersion dont on ne peut ni ne veut s’échapper. Dès les premières minutes, on pense à Pommerat, non en copier-coller mais dans une appropriation semblable du plateau scénique, une immensité modelée de matières qui engloutit les comédiens pour les rejeter un peu plus loin, impactés par leur confrontation avec la substance, l’organique, changés, nostalgiques, résolument seuls. Une sorte de film sans paroles se déroule sous nos yeux : de séquence en séquence, il nous fait visiter nos territoires émotionnels à la vitesse d’un temps que le réchauffement climatique ou la pandémie ne nous donnent plus. Cheminant avec difficulté, entrain ou lassitude, repoussant d’un coup de balai la présence de la catastrophe ou plongeant à pleines mains dans ses résidus, les deux figures féminines sont des facettes modernes des héroïnes antiques, portant sur leurs visages leurs batailles perdues et la dureté des jours qui ne se prolongeront plus…
Qui se souvient du film Pluie noire de Shōhei Imamura y retrouvera cette démarche de narrer des drames à l’impact mondial par le biais d’une histoire intime propice à dénoncer des faits politiques scandaleux. Sans les nommer dans son spectacle, Davy Pieters nous laisse le loisir de les imaginer, de glisser dans ses réflexions visuelles nos propres propos, nos indignations, nos envies de tout effacer et tous nos questionnements. Elle s’attaque à la matière même du temps : ces deux femmes qui se disent au revoir pourraient tout autant être une même et seule personne traversant les âges. Elles prennent soin l’une de l’autre ou d’une période de leur existence : jeunesse et fin de vie. S’il n’y a jamais de regrets, de quelques scènes s’échappent les remords de ne pas avoir été plus précautionneux avec notre Terre et son humanité. Mais il reste la beauté ! Intemporelle, cruelle, salvatrice et, somme toute, immortelle.
Cette pluie de cendres qui tombe sur ces êtres en errance puis envahit le plateau pourrait être extrêmement anxiogène. Qu’est-ce qui fait que la fascination l’emporte sur l’horreur ? Que l’on voit une beauté pure surgir de ces plans séquences entrecoupés de noirs et des yeux déjà perdus dans l’au-delà de ces deux superbes comédiennes, qui nous laissent dans une sidération permanente ? La scénographie et la mise en scène de Davy Pieters, associées au jeu naturel et prenant de Klara Alexova et Marlies Heuer, nous plongent dans un état qui constitue la dramaturgie du spectacle : cette empathie que nous développons à l’encontre de ces deux âmes errantes dont nous ne connaissons rien si ce n’est la vibration de leurs émotions, traduite par l’efficace bande-son de Jimi Zoet et la fantastique création lumière de Varja Klosse. Tout ici est millimétré, pensé, exécuté dans une impeccable rigueur technique qui contraste avec le chaos porté au plateau.

Nous attendons avec impatience les prochains spectacles de Davy Pieters, qu’elle a présentés dans le cadre de la session « Major Tom », une toute nouvelle et très intéressante collaboration entre Actoral et le Centre Wallonie Bruxelles à Paris. CRISPR donnera la parole aux générations à venir, aux enfants pas encore nés, partant du postulat qu’en imaginant le futur, on peut le transformer. Elle s’intéressera aux quatre étapes clefs de la vie d’un humain : l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et la mort. Un travail sur la faiblesse, le handicap, qui interrogera la perfection et ses limites. Première en février 2022 à Rotterdam.

 

Marie Anezin

 

Do Not Look Back With Regret de Davy Pieters était présenté les 2 & 3/10 au Théâtre des Calanques, dans le cadre du festival Actoral