Vestiges d'un des immeubles détruits

Des vestiges de la rafle du Vieux-Port mis au jour au pied de l’Hôtel-Dieu

Dans le cadre d’un diagnostic archéologique réalisé au pied de l’Hôtel-Dieu, des archéologues ont mis à jour les vestiges de ce qui semble être un des immeubles détruits en 1943 par les Allemands, après la rafle du Vieux-Port. Pour Pascal Luongo, l’avocat qui a porté la plainte pour crime contre l’humanité des survivants, il pourrait s’agir d’une « preuve pénale ».

 

Il y a des coïncidences que d’aucuns, un peu croyants, liraient comme un signe de la providence. La semaine même où des gendarmes de l’Office central de lutte contre les crimes de l’humanité (OCLCH) démarrent leurs auditions dans le cadre de l’enquête préliminaire sur la rafle du Vieux-Port (lire notre article sur l’enquête), des vestiges de ce drame réapparaissent au grand jour. Qui plus est, à quelques mètres à peine du monument dédié à l’autre rafle de ce mois de janvier 43, celle de l’opéra, qui vit plusieurs centaines de juifs déportés vers les camps de la mort.

C’est l’infatigable historien Michel Ficetola qui a fait cette découverte en parcourant la Grand-Rue, derrière l’Hôtel de Ville. Depuis quelques jours, au pied de l’Hôtel-Dieu, des archéologues de l’Institut national d’archéologie préventive (INRAP) s’affairent autour d’une fosse où une pelleteuse met lentement à jour des couches de vestiges. L’INRAP réalise là un sondage préalable au chantier de requalification du centre-ville entrepris par la métropole depuis le début de l’année (lire notre article sur ce chantier). La seconde phase de ce rafraîchissement des espaces publics autour du Vieux-Port doit débuter en fin d’année, notamment par la rue Caisserie.

 

Le sol d’une cave, des bouteilles abandonnées

Une bouteille de limonade retrouvée sur le site de sondage archéologique

À cet endroit, des plantations d’arbres doivent intervenir. Avant que les travaux ne démarrent, les archéologues entreprennent donc un diagnostic archéologique dans une zone où l’on sait les vestiges présents en grand nombre et les réseaux souterrains peu présents. La première couche qui affleure est donc la plus récente. Ceux qui affleurent datent donc probablement de 1943. Il y a là des malons d’argile de ce qui pourrait être le sol d’une cave, puis un mur. Plus loin, la pelleteuse met à jour une bouteille qui porte encore en relief la marque de la limonade qu’elle contenait.

Les jours précédents, les archéologues ont retrouvé plusieurs de ces bouteilles. Signe que les propriétaires ont quitté cette maison sans avoir le temps de vider leur cave. Car le cadastre de 1820 ne trompe pas. Au pied de l’Hôtel-Dieu serpentait la rue de la Roquette sur laquelle donnaient la Grand-Rue, la rue des Bannières et celle du Colombier. L’emplacement creusé par les archéologues correspond peu ou prou à des immeubles sis rue des Bannières.

« Là même où vivaient les frères Robert et Michel Barone qui ont été évacués vers Fréjus avec leurs parents », affirme Michel Ficetola. Associé à la plainte pour crime contre l’humanité, Michel Barone devait être entendu cette semaine par les gendarmes. Il n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais, sur place, l’archéologue confirme que si les vestiges mis à jour sont ceux d’une maison, elle correspond à l’une de celles détruites par les Allemands en janvier 1943.

L’avocat à l’origine du dépôt de plainte, Pascal Luongo, s’est immédiatement rendu sur place. Au-delà du caractère forcément émouvant de la découverte, il s’agit là d’une preuve pénale. « Je vais aussitôt écrire au parquet pour qu’il dépêche sur place les enquêteurs de l’OCLCH. C’est formidable de pouvoir toucher du doigt ce qu’a été la destruction des vieux quartiers de Saint-Jean. Cela peut constituer, pour les enquêteurs, une éventuelle preuve matérielle de leur destruction. »

Outre le parquet de Paris, il entend saisir les services des architectes des Bâtiments de France, le service régional d’archéologie à la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) et la métropole, maître d’ouvrage des travaux.

 

 

L’espoir d’une commémoration

Du côté de la DRAC, on précise que le diagnostic en cours relève d’une « démarche prospective consistant à documenter toutes les périodes chronologiques présentes. » Cela permet d’évaluer le potentiel archéologique du lieu où vont s’effectuer les aménagements. Cela se fait dans une zone connue pour la richesse de son sous-sol, à quelques mètres du lieu où ont été découverts les vestiges de bateaux grecs. Très clairement, ce qui intéresse les archéologues se situe plus en profondeur, là où subsistent peut-être des vestiges antiques.

Immanquablement, la découverte de ces éventuelles couches inférieures passe par la destruction des couches les plus modernes et donc de la cave de 1943, ici mise à jour. « C’est sur la base de ce diagnostic que l’on avisera après coup, en fonction du projet d’aménagement, indique la DRAC. Soit la poursuite sans suite archéologique, soit des fouilles préventives, soit éventuellement la modification du projet d’aménagement pour préserver les vestiges. »

Dans ce dernier cas, c’est à la métropole que reviendra la responsabilité de préserver et de mettre en valeur cette trace ultime d’un quartier disparu. « C’est une chance incroyable d’avoir trouvé cette trace à un mètre à peine du lieu de commémoration des rafles de janvier 1943, s’enthousiasme Michel Ficetola. Imaginez qu’il suffit de conserver un simple carré de deux mètres sur deux, protégé par une plaque de plexiglas, pour donner à voir ce qui a disparu ces jours-là. » Contactée, la métropole n’a pas, pour l’heure, donné suite à nos demandes.

 

Benoît Gilles