Dans les couloirs de La Friche Belle de Mai © Damien Boeuf

Des nouvelles… de la Friche la Belle de Mai

Dans un quotidien désormais gouverné par l’incertitude, nous donnons la parole aux forces vives de la culture, touchées de plein fouet par la crise sanitaire.

Après celle du printemps, la Friche a dû annuler sa programmation automnale, « construite pour se retrouver autrement, proposée pour réfléchir ensemble au monde, pas uniquement à celui d’après mais, surtout, à celui d’aujourd’hui. » En attendant « la fin du tunnel (et pas que celui de la rue Guibal) », son directeur, Alain Arnaudet, dresse le bilan de cette année noire, notamment pour les 70 structures qui résident de façon permanente dans la fabrique de culture de la Belle de Mai.

 

 

À quoi aurait ressemblé l’année 2020 de votre structure sans la crise sanitaire ? 

Une programmation très dense était prévue : le lancement de la Saison culturelle Africa2020 en juin et sa clôture en décembre, plusieurs festivals internationaux — Les Musiques,  Les Rencontres à l’Échelle, Chroniques —, l’ouverture de nos expositions à un large public, notre activité cinéma au Gyptis, etc.

La « Fabrique Friche » a également été, en partie, mise en sommeil : de nombreuses résidences et créations devaient se tenir dans nos murs.

L’action culturelle et la médiation, notamment à destination des scolaires, est aussi une activité importante et fortement impactée.

Il ne faut pas oublier que la Friche la Belle de Mai est bien plus qu’un espace de programmation. Elle accueille plus de 500 000 personnes par an. Certaines fréquentent assidument notre espace public, notamment les familles et les jeunes Marseillais (jeux pour les enfants, espaces de sports urbains et d’expression, café, restaurant, etc.).

 

 

Alain Arnaudet

Suite à l’arrêt brutal de vos activités provoqué par le premier confinement, avez-vous pu compter sur des soutiens physiques, psychologiques, financiers ?

La Société Coopérative d’Intérêt Collectif Friche la Belle de Mai, qui pilote l’ensemble du projet, est une structure solide. Il n’en est pas de même pour les 70 structures qui résident en permanence à la Friche et font vivre le lieu. La très grande majorité de ces artistes et opérateurs culturels et sociaux traversent une période très difficile, tant financièrement qu’humainement. Certaines aides ont été mises en place par les partenaires publics mais ce n’est, hélas, pas suffisant.

 

 

Avez-vous eu la possibilité de vous réorganiser, voire de vous réinventer, afin de pouvoir profiter un minimum des quelques mois de répit partiel qui ont précédé cette nouvelle épreuve ? 

On parle beaucoup « du monde d’après », qu’il faut profiter de ce soit disant « temps de pause pour se réinventer ». Franchement, je n’ai aucune idée sur ces sujets. Cette pause forcée n’est, à mon avis, pas propice au lancement d’une réflexion collective sereine, à envisager une autre manière de faire notre métier. Essayons dans un premier temps de sortir de ce marasme et de cette déflagration sociale, culturelle et économique qui sont très anxiogènes. Ensuite, on mesurera l’ampleur du désastre et les difficultés à surmonter à court et long terme. Peut-être qu’alors, nous essayerons d’agir, d’inventer autre chose.

On peut, on doit l’espérer.

Cependant, on peut regretter qu’un tel accident mondial soit nécessaire pour nous engager dans ce sens.

Heureusement, au loin apparaît une lueur : les partenaires publics semblent se rendre compte que ce « vivre ensemble » — terme galvaudé à force de le répéter dans et par les médias — et la culture sont essentiels à la vie des gens. Espérons que cette petite flamme ne soit pas soufflée par le « monde d’après ».

 

 

Quelles sont vos attentes quant à la considération de l’État pour le milieu culturel face à cette crise sanitaire ? 

Je souhaite qu’il fasse plus et mieux, évidemment. La culture représente moins de 1 % du budget de l’État, ce qui est dérisoire. Il est stable — à quelques microns près — depuis 1981, sans l’incrémenter de l’inflation qui a forcément réduit nos capacités d’action.

Je ne peux que regretter que pendant ce temps, le budget de la défense a obtenu récemment l’assurance d’une augmentation annuelle de 5 % durant cinq ans jusqu’en 2022.

Cela peut poser question…

 

 

Arrivez-vous à trouver un quelconque aspect positif, qu’il soit personnel, organisationnel ou communautaire, à toutes les difficultés engendrées par ces handicaps répétitifs ?  

Des citoyens et des associations se sont mobilisés pour être au plus près des plus démunis. De belles initiatives personnelles et collectives ont permis d’améliorer tant que faire se peut le quotidien des gens.

Les personnels de santé ont montré tout leur engagement. Ils nous ont rappelé que le serment d’Hippocrate n’est pas une anecdote.

Cela étant, je suis triste que la mobilisation des travailleurs sociaux avec lesquels nous sommes en travail ne soit toujours pas reconnue à sa juste valeur. Ils font — ils l’ont une fois de plus prouvé cette année — un travail remarquable dans des conditions extrêmement difficiles. Peut-être est-ce le bon moment pour reconnaitre et valoriser leur engagement et la nécessité absolue de leur action. Leur humanité au plus près de l’humain, de celles et ceux qui ont besoin de soutien, notamment la jeunesse, est un maillon fort, hélas aux faibles moyens, de notre organisation sociétale.

 

 

Quel est votre sentiment par rapport à ce deuxième confinement ? Quelles sont vos perspectives d’avenir ? 

J’ai le sentiment que tout le monde est très affecté par cette décision radicale. Le désenchantement est prégnant.

Nos perspectives sont de sortir au plus vite de cette limitation de faire et de cette privation de liberté. Nous préparons notre année 2021 sans avoir de certitude sur l’avenir de notre métier, sur les moyens qui nous permettront de le faire.

Je suis surtout très inquiet pour les artistes dont les projets sont reportés ou, pire, annulés. C’est une catastrophe pour nombre d’entre eux. On ne mesure pas encore l’ampleur de leur désarroi. 2021 risque d’être une année noire. Leurs revenus personnels ont été amputés et le seront certainement en 2021. Certes, tous les opérateurs culturels se sont mobilisés pour reprogrammer en 21 les spectacles et expositions prévus cette année mais, une année de programmation n’étant pas extensible, ceux-ci devront faire des choix et repousser en conséquence des projets prévus pour 2021 en 2022, etc.

 

 

Avez-vous mis en place des mesures spéciales pour garder le lien avec vos publics pendant ce reconfinement ?

Nous avons essayé de faire vivre la « Friche artistique » à travers nos réseaux sociaux. De très sensibles publications ont été postées par notre équipe de communication qui a fait un remarquable travail en mobilisant les « frichistes » résidents et leurs amis.

De plus — comme beaucoup de structures associatives ou non et de citoyens — nous avons fait tout mis en œuvre pour soutenir au mieux les habitants du quartier et les plus démunis. La Friche est artistique. Elle essaie aussi d’être citoyenne.

 

Propos recueillis par la rédaction

 

Pour en (sa)voir plus : www.lafriche.org