Des grains de poussière sur la mer Tour-Panorama de la Friche La Belle de Mai

Des grains de poussière sur la mer Tour-Panorama de la Friche La Belle de Mai

Questions de perspectives

 

L’identité caribéenne comme fil conducteur, l’exposition Des grains de poussière sur la mer déploie une série de sculptures et d’installations fortement marquées par l’histoire coloniale des Antilles.

 

 

Comme en écho au temps fort « Un champ d’îles » dans lequel elle s’inscrit, intitulé en hommage au grand écrivain antillais Édouard Glissant, l’exposition proposée par Fraeme au troisième étage du Panorama de la Friche porte elle aussi un nom évocateur et poétique. Il fait référence à une phrase prononcée par Charles de Gaulle alors qu’il survolait en avion la mer des Caraïbes, décrivant les îles comme autant de « grains de poussière sur la mer ». Comme le souligne la commissaire de l’exposition Arden Sherman (par ailleurs directrice de la Hunter East Harlem Gallery à New York), « si cette citation du président de la République d’alors évoque l’effet mystérieux et presque surnaturel que peut susciter une vue aérienne de l’archipel des Caraïbes, elle est aussi révélatrice de la perspective surplombante depuis laquelle est perçue la région — une perspective dont les racines plongent dans l’histoire de la France comme puissance coloniale dans les Antilles. »

Si l’on ne saurait réduire l’exposition à l’héritage colonial de la France dans les Caraïbes et en Haïti — les artistes présentés ici naviguent bel et bien dans le monde de l’art contemporain mondialisé —, nombre d’œuvres y font référence, offrant une dimension largement historique et politique à la monstration. À commencer par l’installation Consommons racial ! du Martiniquais Jean-François Boclé, qui déroule sur six mètres de longs ce que l’artiste appelle un « continuum colonial » : des produits de consommation courante dont les emballages sont « classés par couleurs », de ceux véhiculant l’image proprette et paisible de familles blanches à ceux mettant en scène — souvent de manière abjecte, et encore dans les rayons aujourd’hui — des personnes noires asservies par les premières. D’origine martiniquaise lui aussi, Alex Burke revisite l’histoire coloniale des Amériques avec La Bibliothèque 2, une étagère recouverte de sacs en tissu rappelant les sacs en toile de jute utilisés pour le transport des marchandises des empires coloniaux, sur lesquels l’artiste a brodé les dates clés de ladite histoire, de l’invention de l’imprimerie aux émeutes de 2009 qui avaient secoué les Antilles. Avec l’installation Bomb – de cendres s’élevant dans l’art d’aimer la Vie – cette fleur, ce cocotier chaotique, Louisa Marajo essaie quant à elle de « ré-agencer le chaos né des bombes climatiques, des ruines du capitalisme… » en présentant un paysage terriblement poétique pour changer les perspectives des regardeur·euse·s. Plus loin nous attend ce qui constitue sans doute l’œuvre-phare de l’exposition (même si, pour des raisons techniques, elle est confinée dans un espace obscur) : l’installation Nature morte aux fleurs (Le spectacle de la tragédie) de Jean-Ulrick Désert. Cette espèce d’autel commémoratif, composé de guirlandes de rubans et de fleurs colorées sur lesquelles est inscrit le nom de Fabienne Cherisma, est mitraillé toutes les deux secondes par un flash. La jeune fille avait quinze ans quand elle mourut assassinée par la police après le tremblement de terre de 2010 en Haïti, et les images de son corps sans vie firent le tour de la planète. Saisissante, l’œuvre questionne le regard des sociétés occidentales sur les drames qui frappent le « tiers-monde », et interroge un système condescendant qui, encore aujourd’hui et malgré quelques beaux discours, établit par ses actes que toutes les vies ne se valent pas.

 

CC

 

Des grains de poussière sur la mer : jusqu’au 28/07 à la Tour-Panorama de la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).

Rens. : www.lafriche.org