Le 63 de la rue d'Aubagne, effondré le 5 novembre 2018. Image de 2016, BG.

Depuis quinze ans, la Ville ne consacre guère plus de trois millions par an à l’habitat indigne

Trois jours après l’effondrement de trois immeubles rue d’Aubagne, le maire de Marseille défendait le bilan de sa politique de lutte contre l’habitat indigne lors d’une conférence de presse. Tout bien pesé, elle se limite à environ trois millions d’euros par an et les rapports de la Ville en reconnaissent eux-mêmes les lacunes.

 

203 millions d’euros en près de quinze ans. C’est le bilan « des moyens colossaux » engagés pour la « rénovation de l’habitat » qu’a présenté le maire de Marseille jeudi 8 lors d’une conférence de presse. Après l’effondrement de trois immeubles lundi 5 à Noailles, dans les décombres desquels huit victimes ont été découvertes, l’heure n’est pour lui « pas aux polémiques » mais au « recueillement ». Pourtant, le contexte le pressait de justifier son action.

Un exercice certes peu évident, tant cette politique est complexe. Se déployant sur plusieurs volets (subventions, expropriations, sécurité des habitants, répression des marchands de sommeil), elle fait intervenir plus d’une dizaine d’acteurs publics. Alors, que fait la mairie ? De ce point de vue, le nombre de millions dépensés a le mérite d’offrir une réponse claire… mais fragile.

 

L’accession à la propriété dans le lot

Plus de la moitié de la somme avancée correspond en effet à la participation de la Ville aux projets de rénovation urbaine. Autrement dit, à Kalliste (15e), à la Savine (15e) ou encore à Malpassé (13e), des cités de logement social ou des grandes copropriétés. Dans les quatorze projets de rénovation urbaine, seuls ceux de Saint-Mauront et du Centre Nord s’attaquent plus frontalement à la résorption de l’habitat insalubre dans des quartiers centraux.

S’ajoutent au chiffrage 28 millions d’euros de soutien à la construction de logements sociaux et 15 millions d’euros pour le chèque premier logement, un dispositif d’aide à l’accession à la propriété. Certes, tout cela s’inscrit dans la cohérence globale d’une politique du logement, mais noie la part réellement consacrée à l’éradication de l’habitat indigne, beaucoup moins colossale : 35 millions d’euros, voire 50 millions si l’on intègre l’opération grand centre-ville. Soit, entre 2,5 et 3,5 millions par an. À mettre en rapport avec le budget annuel de la Ville de Marseille : 1,6 milliard en 2018.

Est-ce suffisant, au regard des enjeux d’« un parc privé potentiellement indigne présentant un risque pour la santé ou la sécurité de quelques 100 000 habitants », comme on le lit dans le rapport de Christian Nicol, commandé par le ministère du Logement ? La réponse de ce haut fonctionnaire est connue (lire son entretien à Marsactu) : « Les dispositifs mis en place depuis plusieurs années ont eu un effet marginal sur le traitement de l’habitat indigne. » Lors de la conférence de presse, l’adjointe au logement Arlette Fructus a bien précisé que ce rapport « a été au vitriol pour tout le monde, pour l’État également. »

Objectifs à moitié remplis

Mais ce bilan sévère se lit aussi, un peu adouci, sous la plume de la Ville de Marseille. Dans une délibération votée en 2017, elle évoque son propre dispositif d’éradication de l’habitat indigne, mené depuis 2007 : « En dehors des opérations d’ensemble [sur des groupes d’immeubles, telles que celle de Saint-Mauront (3e)], le caractère diffus de cette intervention n’a pas eu un impact suffisant en matière de renouvellement urbain et n’a pas pleinement participé à une requalification globale des centres anciens. »

C’est dans ce document qu’un autre chiffrage défendu par la Ville, reposant sur le nombre d’immeubles traités, s’effrite lui aussi. En 2005, elle affirme vouloir lancer « une phase plus significative et opérationnelle » en s’attaquant de front à 450 immeubles « déjà signalés, en cinq ans ». Treize ans plus tard, le dossier de presse met en avant le chiffre de 362 immeubles diagnostiqués. Le nombre d’immeubles ayant fait l’objet de travaux est bien moindre : 208, soit moins de la moitié de l’objectif initial. Pour les autres, si certains « se sont avérés après diagnostic ni insalubre, ni dangereux », une centaine environ nécessitent toujours une intervention, lit-on dans le bilan détaillé de l’opération.

 

 

Autre lacune, de taille : l’intervention directe de Marseille Habitat et Urbanis, les deux opérateurs chargés de résoudre les cas les plus compliqués, notamment lorsque les copropriétaires étaient incapables de faire face aux travaux. Elle s’est limitée à 110 immeubles. Dans certains d’entre eux, les travaux n’ont toujours pas démarré, comme les n°61 et 63 de la rue d’Aubagne, inclus dans la liste (lire notre article).

 

« Très difficile d’obtenir des réhabilitations complètes »

Le reste de la somme correspond au volet incitatif, qui repose sur des travaux réalisés par les propriétaires, aidés de subventions. Celui-ci n’a touché que 50 immeubles. « Globalement, les propriétaires n’ont eu que peu recours à des subventions qui les engageaient sur des travaux lourds et des loyers de sortie encadrés », regrette le bilan détaillé. Cela signifie que pour une cinquantaine d’immeubles où la Ville affirme que des travaux ont été faits, leur ampleur réelle est sujette à caution.

C’est ce qu’admet, entre les lignes, la délibération de 2017 déjà évoquée plus haut :

« Il a été très difficile d’obtenir des réhabilitations complètes lorsque les immeubles ont conservé leur statut privé, et ce malgré la mise en place d’un régime de subventions très avantageux. Le recours à des procédures coercitives de salubrité et de sécurité a permis de rétablir une certaine norme, de protéger les occupants, mais n’est que rarement parvenu à atteindre le niveau de réhabilitation visé. Une réhabilitation complète devient un objectif réaliste lorsque l’immeuble est partiellement ou entièrement maîtrisé par la puissance publique. »

On le devine, cet aveu d’échec s’accompagne d’un changement de stratégie : avoir un impact plus fort en agissant à l’échelle d’îlots, voire de quartiers, avec des travaux imposés et un programme conjoint d’espaces publics et d’équipements.

C’est la logique enclenchée via l’opérateur public qu’est la Soleam, à travers cinq pôles de l’opération Grand centre-ville (Opéra, Mazagran, Coutellerie, Fonderie Vieille Korsec/Velten) : sur les 335 immeubles des périmètres dessinés, on compte « 139 immeubles identifiés comme dégradés ou très dégradés comprenant 1 000 logements concernés. » Un objectif de 83 immeubles traités, par arrêté de prescription aux propriétaires ou par expropriation, est avancé. Le quartier de Noailles devait passer après, selon un calendrier qui a tendance à s’allonger. L’effondrement de lundi motivera-t-il une accélération ? Jean-Claude Gaudin n’a rien dit en ce sens.

 

Julien Vinzent