David Walters : la force tranquille

David Walters : la force tranquille

Entre deux concerts dans sa ville d’adoption, une résidence à la Friche et la sortie de son album, David Walters aurait pu nous dire « Awa ». Mais les qualités humaines de cet artiste accompli en ont décidé autrement, une fois encore… (lire la suite)

Entre deux concerts dans sa ville d’adoption, une résidence à la Friche et la sortie de son album, David Walters aurait pu nous dire « Awa ». Mais les qualités humaines de cet artiste accompli en ont décidé autrement, une fois encore

Mercredi dernier, la Friche. Il pleut des cordes, mais David Walters, qui fête ce soir la sortie de son premier album, en a plus d’une à son arc. Dans ce Cabaret Aléatoire qui, d’ordinaire, peine à remplir en dehors de ses nombreuses soirées « club », le néo-Marseillais a réuni ses amis musiciens, quelques acteurs du milieu culturel et, surtout, un auditoire hétéroclite qui ne se casse généralement pas le cul à sortir en semaine pour aller voir de la « world ». C’est une évidence : il se passe quelque chose, qui dépasse de loin le seul cadre (ô combien réducteur) de cet intitulé douteux. Ce n’est d’ailleurs pas à proprement parler un concert, mais plutôt un « bœuf » assez spécial, orchestré en résidence, puis livré au feeling : les invités s’enchaînent, s’essaient à différents registres, font des pauses, laissent respirer le fruit de ce travail basé sur l’échange. Et dans cet étrange ballet aussi versatile que cohérent, où le phrasé rap (K-Rhyme Le Roi, Ahamada Smis) vient se greffer sur le son obsédant d’une vielle à roue (Pierre-Lo de Dupain), où des motifs rythmiques afro-futuristes (Doctor L) se parent d’envolées de flûte (Cyril Benhamou), il y a tout l’art d’un jeune homme bien ancré dans son époque, dont le premier talent – bien plus que d’évidentes dispositions artistiques – est d’avoir un jour osé dire non. Non à la fatalité, non à l’obscurantisme, toujours de mise, non à la facilité. « Un non positif », comme il se plait à le dire, cet awa créole qu’il porte désormais comme un flambeau.

Worldwide

La première fois que nous avons entendu parler de David Walters, c’était à la fin des années 90, en pleine vague « nu-jazz ». Il sévissait alors au sein du collectif bordelais Zimpala, sans doute la seule alternative française d’envergure aux productions du label allemand Compost : un mélange d’électronique et d’organique, d’influences noires et latines, dans la droite lignée du courant « acid-jazz » qui avait agi sur lui, quelques années plus tôt, comme un catalyseur. La première fois que nous avons vu David Walters sur une scène, c’était au début des années 00, pour son tout premier concert solo donné à… Marseille, dans un café rue Paradis. Peu de temps après, donc, et à la fois une éternité : fraîchement débarqué dans cette ville où il allait tout construire, projets, famille, carrière, il préparait ses premières parties de Gotan Project à Paris, suite à la signature d’un contrat sur le label de ces derniers – Ya Basta. Deux repères temporels, et une constante : le mélange, ce grand mix worldwide en écho à l’émission radio du parrain Gilles Peterson, dont on peut aujourd’hui dire qu’il joua un rôle décisif (à Londres) dans l’évolution musicale de David. Avalanche de références ? C’est que, ces jours-ci, les médias oublient un peu vite de parler musique à son sujet : le parcours du bonhomme est si singulier, si riche d’enseignements qu’il s’avère – à raison – nécessaire de s’y apesantir. Ado, David avait une passion, l’athlétisme, et un physique lui permettant de s’y adonner à corps perdu. Ce qu’il fit, suivant une formation de sport-études en région bordelaise, avant qu’une sale blessure ne mette un jour un terme à ses ambitions : « Ça a été dur psychologiquement, je n’avais pas de soutien humain, plus d’entraîneur, de sponsors… Mais ça m’a rendu service car c’était le meilleur moyen d’entrer dans l’âge adulte : il fallait que je m’en sorte seul. » Il ne manque aujourd’hui pas de faire un parallèle entre sa vie de sportif et celle de musicien. Car c’est du refus de subir que David a tiré toute sa force. Ainsi, plutôt que de se perdre dans des conflits d’ego sur certaines collaborations, il préfère choisir d’avancer en solo, sur scène comme sur disque, pour mieux retrouver ensuite ceux qui sont amenés à croiser sa route (« J’ai besoin de poser mon travail, comme un défi avec moi-même »). Mais le gros de l’affaire, au vu de ce qu’on peut lire ici et là, ce seraient les origines du garçon – créoles. Alors que c’est précisément cela qui n’a aucune importance, puisqu’il se revendique lui-même de racines diverses, constamment nourries de ces rencontres qui le rendent chaque jour un peu plus complexe. Et enrichissent une identité forte, en totale osmose avec le fruit de sa création : « Mes racines, c’est tout ce que j’ai pu faire depuis que je suis sur cette planète : tous les voyages, tous les gens que j’ai pu rencontrer… Je me sens héritier de la culture créole ET de la culture française, comme aussi de la culture anglophone

Point d’équilibre

En fait, ce qui frappe le plus chez David Walters, c’est la sérénité avec laquelle il appréhende les choses. Difficultés de planning pour se rencontrer ? Pas d’inquiétude, on trouvera. Dans ce regard droit, profondément honnête, il y a l’assurance de celui qui n’a plus peur, l’humilité de celui qui peut encore apprendre, de quelque chose, de quelqu’un. D’un instrument méconnu et atypique (la croix Baschet – sa marque de fabrique) comme d’une première partie devant des milliers de personnes (Bowie, Kravitz, Jamiroquai : une gageure). D’un retour aux sources (l’Afrique) comme d’une ville, la sienne, la nôtre, celle qui génère ce formidable paradoxe : le mouvement dans la lenteur. « Tout ce que je fais depuis que je suis à Marseille, c’est dans la lenteur. Et c’est pour ça que je suis bien ici, c’est une ville à la fois hors du temps et dans son temps, en décalage complet avec le reste du pays : c’est à la fois le soleil et la misère, mais il y a une énergie incroyable. » Une terre d’asile idéale pour donner vie à un disque universel, sans cesse affiné depuis trois ans par ce multi-instrumentiste ayant enfin trouvé sa voie/voix, jusqu’à gagner ce point d’équilibre où tout se rejoint dans un même élan cosmique : passé, présent et futur, couleurs et sons, grands contes et petites histoires. « Tout ce qu’il m’arrive actuellement, je le prends sans a priori et sans attentes. J’essaie de cultiver la spontanéité. » D’évidence, tout porte à croire que lors des prochains concerts de David, il fera grand beau temps.

PLX

En concert avec Dupain le 23 au Moulin, 20h30. Rens. 04 91 06 33 94 Dans les bacs : Awa (Ya Basta/Virgin), voir chronique in Ventilo #146 www.davidwalters.fr