Danton Eeprom : La nuit lui appartient

Danton Eeprom : La nuit lui appartient

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La nuit lui appartient

Danton Eeprom, l’outsider électro qui a fait ses classes à Marseille, pour gagner ensuite Berlin avant de planter son drapeau à Londres, s’apprête enfin à sortir son album. Attendu comme rarement dans le circuit underground international, celui-ci est une franche réussite, mais voit surtout son géniteur se placer une fois encore là où personne ne l’attend. Comment ce musicien multicartes a-t-il pu devenir l’artiste électro français le plus excitant de ces dernières années ? Pourquoi Danton incarne-t-il à lui seul une révolution ? Nous sommes allés en parler à son cheval.

L’action se déroule chez un ami journaliste, qui a eu la chance de rencontrer l’animal avant que celui-ci ne devienne le tempétueux pur-sang de l’écurie lyonnaise InFiné. Nous venons d’attaquer le dîner, Danton déboule avec du retard et une bouteille de champagne. Il commence à nous parler de sa vie dans l’est de Londres, de sa passion pour Kate Bush, papote shopping avec la copine de mon pote, qui est dans la mode et lui a refilé l’idée d’une reprise, le Working class hero de Lennon. Danton n’a pas faim, la bouteille n’est pas débouchée mais il a déjà les yeux qui brillent, il nous propose de passer au salon pour « se faire un Jack ». Un quoi ? Nous nous exécutons, et tandis que notre invité s’enfile verre après verre dudit bourbon, il nous fait écouter Attila, nouvelle composition plus downtempo, évoquée parmi cent choses avec un débit de mitraillette, enchaînant clope sur clope. Les enfants sont couchés, mon pote est complètement raide, Danton occupe l’espace. J’essaie de suivre, merde, on est en milieu de semaine. Alors que la nuit file, je finis par faire de même, et Danton s’en va rejoindre son studio pour « faire de la musique », il est à fond. Rideau.

Plongée abyssale

Un an avant cette première rencontre « hors-cadre », nous avions déjà intercepté Danton au moment même où il sortait son Confessions of an english opium eater, le maxi-vinyl qui lui ouvrait les portes de la gloire. Il venait de s’installer à Londres, où le « parrain » Andrew Weatherhall, bluffé par cette plongée abyssale et narcotique dans les entrailles d’un club interlope, légitimait l’arrivée du jeune dandy sur la scène club locale via une interview donnée au Guardian, citant ce hit techno comme celui qui l’avait le plus marqué au cours de ces dernières années. Depuis, Danton est devenu l’un des musiciens français les plus attendus sur l’échiquier des musiques électroniques. Il a sorti d’autres maxis, réalisé plusieurs remixes, monté un label avec des amis londoniens (Fondation) et enchaîné les dates un peu partout en Europe. Dans un mois, il sort enfin son premier album, et va faire la couverture d’un magazine français de référence en la matière. Personne à Marseille, jusqu’alors et dans un tel registre, n’avait réussi à susciter tel engouement. Comment, et surtout pourquoi Danton y est-il parvenu ? Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de revenir sur les débuts du bonhomme, il y a cinq ans. A l’époque, celui-ci a déjà bien compris – après une première expérience au sein d’un obscur groupe de rock – qu’il peut s’en sortir seul, puisqu’il joue de plusieurs instruments, et que la démocratisation du « home-studio » permet à tout un chacun de produire rapidement de la musique. Dans les musiques électroniques, il est de coutume de se choisir un pseudo. Lui va se construire un personnage : Danton Eeprom, dandy en costume noir et haut-de-forme, dans lequel il va se glisser pour asséner une électro décadente, sur un créneau post-Miss Kittin & The Hacker. Départ pour Berlin, la ville de tous les possibles dans ce milieu, où il apprend sur le tas, fait des rencontres. Et sort quelques maxis sur une poignée de labels, tous différents. C’est là sa première force : chacun de ses essais apporte une pierre à l’édifice, dévoilant la nature versatile d’un producteur qui se cherche… mais avance avec un talent bien réel. Le cap, Danton va le passer avec son arrivée à Londres, et la sortie simultanée de Confessions (…), plus minimaliste et insidieux dans la forme, soutenu et joué par tout ce que l’Angleterre compte de Dj’s pointus. Il n’est déjà plus le même, mais garde une certaine couleur : basses rampantes, ambiances plutôt sombres. Danton est en cela un artiste qu’il parvient à absorber diverses influences tout en gardant une touche très personnelle : « Je cherche plutôt à puiser mon énergie dans d’autres domaines, chez des écrivains ou des photographes par exemple. Les romans de Chuck Palahniuk m’ont beaucoup inspiré pour leur énergie, le message totalement schizophrène qu’ils retransmettent. Quand je fais de la photo, ce qui m’intéresse, c’est de le faire avec ma patte, sans gros moyens techniques. On aboutit à un moment à une marque de fabrique : le processus est le même quand je fais de la musique. »

Lost in music

Après avoir collaboré avec des sommités du calibre de Radio Slave ou Ivan Smagghe (leur projet commun La Horse), après avoir sorti le plus abstrait La Mort au large qui entérina sa démarche d’auteur expérimental (explicitée dans un rare élan sur le blog Get The Curse), il était temps pour Danton de passer au long format. Vous attendiez un disque de dance music plombé par le tempérament sulfureux du personnage ? Yes is more annonce la couleur : lumineuse malgré tout, avec une pochette d’une classe folle qui voit notre apprenti jockey fixer l’horizon, perché sur sa monture, et fort du regard de ceux qui n’ont jamais douté. « Je laisse libre l’interprétation de tout cela… mais c’est bien sûr un écho au “Less is more” de l’architecte Mies van der Rohe. Je me l’approprie pour en faire quelque chose de fleuri : si ma musique est sombre, elle ne se complaint jamais dans cette noirceur, il y a toujours une porte de sortie, une lueur. Quant au cheval, c’est un animal que j’admire et qui symbolise un trait de ma personnalité — le voyage. J’avais juste envie de le faire, je fonctionne beaucoup par lubies. » Le disque est ainsi fait de contrastes : quelques titres « club », certes, mais surtout d’autres… à cheval entre deux eaux (poisseux et étonnamment lents), voire assez pop (une reprise du Lost in music de Sister Sledge, chantée en duo avec Erika Forster du groupe Au Revoir Simone), bien que Danton s’en défende en arguant d’un « disque techno, construit en tant que tel avec des boucles, un martèlement insistant. » Avant d’ajouter : « Il fallait juste que cet album me plaise de la première à la dernière note : c’est le meilleur moyen pour moi de faire un bon disque. » Bref : Danton fait ce qui lui plait, et comme il sait s’y prendre, ça marche. Yes is more a été pensé avec un début et une fin, une large palette d’émotions et un matériau organique, et il n’est pas si courant de parvenir à un résultat probant dans ce registre.
Mais le talent, la volonté, l’intelligence et la « vision » peuvent-il suffire à expliquer le buzz qui entoure notre homme ? Son approche du « live » fournit un élément de réponse : « J’ai commencé à expérimenter de nouvelles méthodes, il y a trois semaines au club Fabric de Londres. Je suis arrivé un peu inconscient, sans avoir testé ma nouvelle formule, mais cette pression-là m’a fait faire un très bon live. Je n’aime pas reproduire tout le temps les mêmes choses, j’aime bien me mettre en danger. C’est un moteur pour moi. » Danton ne fait pas les choses à moitié. Danton aime bien jouer avec le feu. Et cette attitude ne régit pas que sa posture artistique, ce qui en fait un sacré client pour les médias.

Retiens la nuit

Devinette : qui, dans le milieu des musiques électroniques en France, a réussi à imposer une image forte au cours de ces dix dernières années ? Réponse : Daft Punk et Justice, tous deux managés par la même personne. L’anonymat domine et c’est une règle : la musique prend le pas sur le reste, dilué dans une utopie collective depuis un peu plus de vingt ans. Danton, qui ne souhaite pas communiquer sur son état civil, déboule avec une attitude propre aux rock-stars : « Si je ne suis pas pour que le mode de vie et les frasques prennent le pas sur la dimension artistique, je les assume totalement dans le sens où j’embrasse la musique avec les voyages, les clubs, et il y a forcément derrière tout ça l’idée d’une vie de rêve. Un personnage te permet de faire des choses que tu ne pourrais pas faire, c’est un prétexte, un alter-ego qui te donne des ailes… Mais est-ce que la vie n’est pas un grand terrain de jeux finalement ? » C’est une évidence : Danton détonne. A une consonne près, ça pourrait partir en vrille à tout moment, mais c’est aussi ce qui donne du relief à une trajectoire hors-normes. La nuit lui appartient. Elle durera le plus longtemps possible.

PLX

Yes is more, dans les bacs le 16 novembre (Fondation/InFiné/Discograph)
Également disponible : Scoring only to be on the safe side Ep (Contexterrior)
En live le 12 décembre au Spartacus (Plan-de-Campagne)
Rens. www.dantoneeprom.com