Dansem #13 : Danse en Méditerranée

Dansem #13 : Danse en Méditerranée

Laissez-moi Dansem…

« David face à Goliath »… A l’heure des conflits sociaux, où nous pouvons tour à tour ressentir autant d’impuissance dans l’acte solitaire que de force dans l’action solidaire, la formule concluant l’édito de la treizième édition de Dansem pourrait bien faire écho chez ceux qui vibrent encore pour une autre idée du genre humain et de ce qui le meut : la danse.

Toujours tournée vers ce qui ne se voit pas en deux clics et trois coups d’œil, la programmation de Dansem offre l’occasion de découvrir chaque année son lot de pépites, à qui sait prendre le temps d’observer. Loin, très loin, d’une consommation effrénée de « tubes » chorégraphiques, mais faisant parfois de l’inédit la prochaine tête d’affiche des hit-parades de la danse contemporaine en Europe. Car la richesse de Dansem n’est pas faite d’espèces sonnantes et trébuchantes, mais bien plutôt d’un capital humain obstiné, celui d’une équipe se reconnaissant dans ce qui reste loin de l’évidence et de l’outrance, unie autour de la figure emblématique de son directeur, Cristiano Carpanini.
Dansem se situe loin des modèles dominants d’efficacité et de rentabilité. Les cordons de la bourse sont serrés : les 133 500 euros de subventions publiques — auxquelles s’ajoutent fort heureusement les aides de sociétés civiles et les coréalisations des théâtres partenaires, qui participent à hauteur de 10 % du budget global — nous autorisent à l’affirmer. Fort de cette logique de coopération devenue presque fondatrice du projet, le festival se trouve néanmoins ainsi acculé dans le paradoxe d’aller au-delà du raisonnable économique s’il ne veut pas disparaître du paysage chorégraphique français. Programmer plus (24 propositions cette année), mais avec moins. Pour le moment, le pari est tenu. Mais jusqu’à quand ? Et avec quels sacrifices ? En quatorze ans, l’Officina, structure porteuse du festival, a changé plusieurs fois de chemin, parfois par nécessité économique, parfois par envies, parce qu’elles se rapprochaient des ambitions du moment. Mais cet opportunisme n’est pas celui des faibles : il est celui de David face à Goliath, qui sait attendre, tapi dans l’ombre des géants. Avec pour cap de rester sensible à l’écoute de soi tout aussi bien qu’à celle des autres. Une treizième édition, donc, pour conjurer le sort d’un avenir bien incertain…
Dansem, c’est avant tout une affaire de famille. De celles qui cherchent à changer le monde sans épreuve de force, de celles qui trouvent le temps de le regarder. Une famille de cœur, de valeurs artistiques, qu’on retrouve dans cette édition. A commencer par la fidélité aux femmes: à Maria Munoz la virtuose, à Hélène Cathala la dynamique, à Filiz Sizanli la sublime, à Montaine Chevalier la délicate, à Nacera Belaza l’impétueuse… Mais sans oublier les amitiés viriles, pour Nejib Ben Khelfallah ou Said Aït El Moumen. Dansem, c’est aussi une histoire de filiation, avec notamment les propositions d’Ambra Senatore, issue de l’écurie de l’immense Raffaella Giordano, ou encore avec celle de Viviana Moin et d’Arnaud Saury, autrefois remarqués et salués en tant qu’interprètes dans les projets de La Zouze, et accueillis aujourd’hui en tant que concepteurs.
Pour le public marseillais, comme pour le public d’ailleurs, pour le novice comme pour l’expert, ces propositions représentent avant tout une chance de profiter d’une programmation riche et pointue, en dehors des saisons de routine proposées par les lieux de notre territoire qui, somme toute conscients de leurs habitudes, accueillent un vent nouveau venu du Sud. Un coup de sirocco en plein automne, qui veut nous rendre vivaces et curieux en nous faisant sortir le temps de quelques heures de nos vies étriquées. Laissons-les donc ouvrir nos fenêtres…

JS

Dansem #13 : Danse en Méditerranée : jusqu’au 18/12 à Marseille, Aix-en-Provence, La Roque d’Anthéron, Châteauneuf-Le-Rouge, Arles et Château-Arnoux.
Rens. www.dansem.org

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> Question de danse
Question de danse est un raccourci formidable pour mettre à jour une idée du petit matin. A l’écart des contraintes de budget et de la programmation orientée des scènes nationales, il existe des espaces qui invitent le chorégraphe à une première échappée sur scène. Les formes courtes et le débat avec le public dédramatisent la chose et transforment des petites manifestations d’humeur en un grand souvenir, et parfois en un geste plus élaboré qui est la signature d’une œuvre et d’une durée (un format). De la Suisse au Maroc, Question de danse invite des opposés pour mieux cerner le choc des formes et des points de vue. Sur le fil d’une semaine, des rebondissements s’installent, des avis contraires s’expriment et chacun peut mesurer ce qui fait avancer la danse aux yeux du public. Quand l’œuvre est à l’état d’esquisse, on appréhende les contours, le support, les couches successives, ce qui fait liant et crée du lien. Ça peut voler en éclats ou retomber sur ses pieds, les deux ensemble, c’est encore mieux. La danse est un art prometteur dans sa capacité à créer du langage et à le faire disparaître dans un même instant. Elle s’amuse du rythme et de la rupture, de l’habillé et du déshabillé, du pas compté et du déstructuré, courant sur le fil d’un synopsis. Dans la multiplicité des combinaisons, on comprend qu’un bel avenir nous attend.
KGB
_Jusqu’au 6/11 au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er)

> Mal Pelo – He visto caballos
Depuis sa création en 1989, Mal Pelo a apporté sur les scènes du monde entier sa recherche sur le langage. De ces voyages sont nés des spectacles marqués par une transversalité très importante. Dans He visto caballos, le collectif mobilise à nouveau son savoir-faire. Deux amants cherchent le moyen de briser la séparation à laquelle ils sont contraints. Comment s’aimer séparés ? Est-ce possible dans le théâtre, dans la danse ? Grâce au spectacle, grâce au rêve, la séparation physique n’a plus de valeur. Partiellement inspirée du livre de John Berger De A à X et des poésies de Mahmoud Darwich, cette création décrit les possibilités infinies que nous donne la poésie lorsque la réalité nous entrave.
SP
_Les 17 & 18/11 au Théâtre des Bernardines (à voir aussi, de la même compagnie : Todos los nombres, les 20 & 21/11, toujours aux Bernardines)

> Cie Léa P. Ning – Espiral
On les connaissait à Marseille pour leur grandiloquence et leur incroyable talent d’interprètes sur les projets de Christophe Haleb. Avec Espiral, Viviana Moin et Arnaud Saury, accompagnés de Laure Mathis, font de la décadence ce lieu d’invention où l’essai et surtout l’erreur sont érigés en principes. Prenant pour point de départ des pratiques artistiques tombées en désuétude — le masque, la marionnette… — et forts du constat de leurs échecs patents à les pratiquer, les trois membres du collectif nous emmènent dans un pays merveilleux où se côtoient licornes et jouets improbables. Un bric-à-brac de trouvailles incongrues qui créera à n’en pas douter un delirium tremens dans la salle.
JS
_Les 26 & 27/11 au 3bisF (Hôpital Montperrin, 109 avenue du petit Barthélémy, Aix-en-Provence)

> Collectif K.O.Com – Intérieurs nuit
Déjà la troisième collaboration de Manon Avram avec Dansem. L’artiste, qui provient du domaine de la photographie, s’est tant posé la question du regard qu’elle l’a retournée : une partie de ce spectacle se déroule dans le noir le plus total. Pouvait-on mieux questionner celui qui voit qu’en éteignant la lumière ? Le soumettre à la cécité va au-delà de l’idée de se mettre à la place d’un non-voyant. On a les yeux tournés vers l’intérieur. Il s’agit de déplacer l’esthétique, la sensation. De se priver de lumière afin d’exacerber l’ouïe, le toucher. De limiter ce qui peut être vu pour amener le spectateur à dessiner lui-même. Dans ce noir, c’est le son des danseurs et leurs souffles qui font le spectacle.
SP
_Du 1er au 3/12 à la Friche la Belle de Mai (41 Rue Jobin, 3e)

> Carol Vanni & Alain Fourneau – Récital (Ici aussi)
Cette création célèbre la rencontre de la danse et du texte. Ici aussi, la dépendance entre l’espace et le temps est radicale. Or, comment le temps du texte vit-il à travers l’espace du corps ? Là où ce dernier dessine un langage, là où le verbe s’incarne, il est riche de découvrir comment les deux peuvent s’imbriquer et se compléter. Le metteur en scène et la danseuse ne seront pas seuls dans leur recherche : les textes de Khalil Gibran, Sabine Macher, Wei Ying-wu, Grimm et Cesare Pavese seront conviés à trouver le chemin du corps. La variété est donc de mise. L’universalité de la pensée et du corps n’est plus à redire, découvrons ce que leur interaction peut faire naître de nouveau.
SP
_Du 2 au 17/12 au Théâtre des Bernardines

> Filiz Sizanli – Site
Voilà huit ans que la chorégraphe turque est invitée à Dansem, la plupart du temps avec son complice de la TalDans Company, Mustafa Kaplan (Sek Sek, Dolap, Solum, Dokuman…). Aujourd’hui seule mais pour deux projets distincts, elle nous parlera d’architecture et d’urbanisme avec Site, et d’amour dans la Minyatursite — proposée plus tard à La Roque d’Anthéron. Une affaire de constructions semble-t-il… imaginaires et/ou réelles. Filiz saura sans doute annexer le monde à son corps, comme elle sait si bien le faire, recréant ainsi, avec une fantaisie délicate, sa ville imaginaire.
JS
_Les 7 & 9/12 au Théâtre de la Minoterie (9-11 rue d’Hozier, 2e)

> Ambra Senatore : Passo-duo et Passo-quintette
Voici la relève de la garde italienne : Ambra Senatore pourrait bien être la fille (ô combien) spirituelle de Rafaella Giordano dans ses premières œuvres. Usant de l’humour comme arme de destruction massive de nos attentes, la jeune chorégraphe réinvente le quotidien et se joue des stéréotypes féminins. A travers deux versions, un duo et un quintette, le spectateur est invité à découvrir les caractéristiques de la singularité d’une femme, dans un fragile équilibre entre codes (diktats ?) sociaux et ce qui la distingue de la multitude. Une danse faite de dérapages, qui risque de faire crisser nos mâchoires.
JS
_Le 11/12 au Théâtre du Bois de l’Aune (1 Place Victor Schoelcher, Le Patio, Aix-en-Provence) et le 14/12 au Théâtre d’Arles (43 Bd Georges Clémenceau)