Trologie Les Mille et une nuits de Miguel Gomes

Club Shellac, plateforme VOD

Circuit alternatif

 

Producteur, distributeur et exploitant de haut vol, programmateur, entre autres, des cinémas le Gyptis et la Baleine à Marseille, Shellac lance sur son site le Club Shellac, plateforme VOD forcément complémentaire à la salle de cinéma, miroir incontournable des plus belles pages de la production cinématographique.

 

 

Sans nul doute, et sans occulter bien entendu tous les drames humains qu’elle aura provoqués, ces longs mois ébranlés par la pandémie marqueront au fer rouge, durablement, l’histoire de l’industrie cinématographique. Bien évidemment par les fermetures ayant mis à l’arrêt l’activité des salles — et des autres maillons de la chaîne, distributeurs et producteurs en tête —, mais surtout par l’accélération d’un bouleversement profond qui touche aujourd’hui les questions de diffusion.

Il est trop tôt encore — et ce serait idiot — de prédire la fin du dispositif particulier qu’est la salle de cinéma (grand écran, obscurité, expérience collective vers laquelle convergent les regards), mais il est certain que son hégémonie jusque-là incontestée dans la chronologie des médias, point de départ de la diffusion d’une œuvre cinématographique, se retrouve sapée par l’importance exponentielle que prennent les plateformes numériques dans nos vies et notre rapport au cinéma.

De nombreux signes ne laissent que peu de doutes quant à l’avenir qui se dessine, et qui confirmera dans un premier temps la fort probable sortie des œuvres simultanément en salles et sur plateforme : Netflix vient crânement d’annoncer ses deux-cents millions d’abonnés, leur permettant une capacité de production digne des plus grands studios, Disney ne sortira ses films quasiment que sur sa plateforme dédiée, idem pour Warner avec HBO, jusqu’aux distributeurs estampillés art et essai qui lorgnent forcément vers cette nouvelle voie d’amortissement des films, à l’instar du Pacte, qui avait lors du premier confinement vendu le Pinocchio de Matteo Garrone à Amazon Prime.

Il s’agit là des balbutiements d’un phénomène dont on ne peut mesurer encore la pleine portée. Mais gageons que cela impactera toutes les chaînes de l’industrie cinématographique, à commencer par la création. Le danger d’un tel système serait évidemment de substituer, en matière de diffusion, une concentration des outils numériques à l’actuelle pluralité des propositions.

L’équipe de Shellac y apporte aujourd’hui une réponse passionnante avec le lancement de son Club Shellac. Ce producteur, distributeur et exploitant exigeant est bien connu du public phocéen : après s’être installé au Polygone Étoilé à son arrivée à Marseille, tout en gardant ses bureaux parisiens, il a, entre autres, redynamisé l’exploitation cinématographique de la cité, plombée par les déboires des Variétés et du César (même si nous n’oublions pas le travail remarquable de l’Alhambra) en ouvrant le Gyptis de la Belle de Mai, puis la Baleine au Cours Julien, dont nous ne cessons dans ces colonnes de vanter la sémillante programmation.

 

 

Lettre à la prison de Marc Scialom

 

 

En lançant la VOD du Club Shellac, la structure prend ainsi le parti de ne pas renvoyer dos à dos la salle de cinéma et la plateforme numérique — conflit qui cristallise aujourd’hui les réactions corporatistes de nombreux exploitants de l’hexagone —, mais bel et bien de mettre à jour l’union intelligente de ces deux axes de diffusion. La démarche est donc celle d’une complémentarité plutôt qu’une dualité.

Pour ce faire, le principe est simple : pour une somme plus que modique, tout cinéphile découvrira à loisir, chaque mois, sur le site de Shellac, douze films à visionner, soient trois par semaine, « puisés dans le cinéma indépendant international, et mêlant films de référence, curiosités, et raretés, souvent complètement inédits en France. » Dont acte pour ce démarrage, avec un menu des plus alléchants. À commencer par trois œuvres de la cinéaste allemande Angela Schanelec, à laquelle le FID a rendu cette année un vibrant hommage, trois opus qui nous plongent dans une écriture subtile et remarquable (Loin, Le Bonheur de ma sœur et Des places dans des villes).

Nous retrouverons, par ailleurs, au sein de ces propositions, l’occasion de (re)découvrir la filmographie d’un immense cinéaste, Philippe Grandrieux, dont l’espace filmique reste peu égalé. Avec Sombre, Un lac et Malgré la nuit, fut parfois évoquée sa caméra haptique, aux confins d’une expérimentation sensorielle, dans les volutes de l’obscurité.

Suivront les trois volets éblouissants de Miguel Gomes, Les Mille et une nuits, les trois opus du cycle New York Indie Stories, la petite rétrospective de la filmographie d’Emmanuel Mouret, sans oublier l’hommage rendu à Marseille vue par le cinéma, où figure en bonne place le magnifique Lettre à la prison de Marc Scialom, production liée au soutien de l’équipe du Polygone Étoilé.

Ce dernier point mérite enfin notre attention : cette dynamique qu’offre aujourd’hui Shellac à la vie des films s’accompagne de partenariats finement tissés, qui incluent au projet une diversité des regards cinématographiques et des œuvres proposées, comme en témoigne la participation du FID au sein de ces propositions, et de tous les partenaires déjà présents et à venir. C’est là, sans aucun doute, une occasion unique, pour le public, les artistes et les acteurs de l’industrie cinématographique, de faire vivre un cinéma propre à réinventer sans cesse la question de l’image en mouvement.

 

Emmanuel Vigne

 

Entrez dans le Club : https://shellacfilms.com/vod-club-shellac