Claude Royet-Journaud - The Times Literary Supplément

Claude Royet-Journaud – The Times Literary Supplément

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Peintures à la « une »

De la poésie à la fabrique des images, quel est le lien ? Aucun, si l’on en croit Claude Royet-Journaud, qui poursuit en parallèle ces deux activités et présente sa peinture « sans parade » au Centre international de poésie Marseille.

Claude Royet-Journaud est d’abord l’auteur d’une tétralogie qui a marqué la poésie française des trois dernières décennies. Durant vingt-cinq ans, il a livré quatre livres courts et implacables qui travaillent la littéralité et le fonctionnement de la langue plutôt que le lyrisme, les images, les assonances ou la métaphore dont la poésie contemporaine raffole.
L’année 1986 ouvre une nouvelle orientation, menée en parallèle de sa production poétique : la peinture, qu’il réalise avec une grande vitesse d’exécution et une non moins grande économie de moyens. En témoignent les outils qu’il affectionne et qui tiendraient tous dans un « tiroir » : pinceaux, tampons, colle et gouache, dont la couleur se répand comme une matière brute sortie du tube, sans oublier l’ouvre-boîte pour griffer le papier ou inciser l’épaisseur colorée.
La série présentée au cipM renvoie à une histoire autant qu’à une pratique artistique jubilatoire. L’histoire est celle d’une correspondance du poète avec une amie installée à Venise, à laquelle il envoie durant une année un exemplaire de l’hebdomadaire TLS (Times Literary Supplement) dont les « unes » peintes et détournées sont les missives.
Confronté à la spécificité du journal (épaisseur du papier, sommaire, titraille, images offertes en « une »), l’auteur accomplit par gestes vifs un recouvrement du texte où opacité et transparence se disputent le support et sa trame, où la peinture prend le relais des mots pour dire les tribulations de l’intime, de l’instant ou de la pensée du temps.
En lumière dans l’écrin patrimonial de la Vieille Charité, avec une présentation quasi chronologique, les quarante-six peintures dévoilent une grande cohérence qui tient au jeu, repris d’une pièce à l’autre, avec le répertoire formel et le lexique habituel de Claude Royet-Journaud. Les surfaces colorées, découpées à grands coups de pinceaux, font l’objet des expérimentations les plus diverses autour de motifs récurrents, comme l’âne ou le cochon Igor (une peluche offerte par l’écrivain Emmanuel Hocquart), de figures variées (cœur, soleil, étoile, poisson…) et de personnages à l’état d’ébauche. A l’exception de certaines photographies insérées (photocopies et non collages), la rencontre fortuite des formes sur le papier est portée par une intensité gestuelle, une force libératoire parfois teintée de touches d’humour.
Le visiteur pourra découvrir quantité d’autres travaux — illustrations, couvertures de livres ou de revues — et, bien sûr, l’œuvre poétique de Claude Royet-Journaud. « Agent double » comme le définit Alain Veinstein, l’auteur est présent sur « deux fronts, celui de l’art et de l’écriture », échappant peut-être ainsi à la qualification d’artiste, pour explorer ce qu’il désigne par « un métier d’ignorance ».

Christine Quentin

Claude Royet-Journaud – The Times Literary Supplément : jusqu’au 19/03 au cipM (Centre de la Vieille Charité, 2 rue de la Charité, 2e). Rens. 04 91 91 26 45 / www.cipmarseille.com