Chronique | La Bataille de la Plaine de Nicolas Burlaud, Thomas Halenholz et Sandra Ach

La coupe est Plaine

 

Le collectif de médias libres Primitivi, dont on salue avec toujours autant d’enthousiasme l’action militante depuis plus de vingt ans, a sorti récemment en salles son dernier opus, La Bataille de la Plaine, qui tire de la réappropriation populaire de ce quartier du centre-ville de Marseille un sujet universel sur la transformation urbaine et sociale de nos cités.

 

 

Loin des praxis balisées de l’exploitation cinématographique hexagonale, quelques films émergent pour insuffler un vent de liberté, autant dans les mécanismes de fabrication que dans les manières d’imaginer leur diffusion, loin des contraintes imposées par les institutions que sont le CNC ou l’AFCAE. Indéniablement, le film La Bataille de la Plaine, produit et réalisé par le formidable collectif Primitivi, se taille une place majeure dans cette dynamique cinématographique, comme en témoigne l’un des co-réalisateurs, Nicolas Burlaud : « Au sein de Primitivi, la majorité des membres a toujours filmé les mobilisations citoyennes, tout en s’étant beaucoup intéressée à la ville et aux dangers de transformations urbaines qui touchent les populations. Quand ça a commencé à chauffer à la Plaine et que l’on a vu arriver les projets de modification du quartier, nous nous sommes mis bien sûr à tourner. Très vite est venu ce projet de film, mais habitant la Plaine, nous ne voulions pas rester sur la simple posture de cinéastes, avec la distance que cela sous-entend. Nous voulions expérimenter autre chose. » Ce qui reste remarquable dans La Bataille de la Plaine, c’est cette façon brillante de faire écho non seulement à l’un des pans majeurs de l’histoire moderne, à savoir celle de la Commune, dont les graines poussent encore dans nos luttes quotidiennes, mais également, cinématographiquement, de pousser la référence à l’œuvre de Peter Watkins, qui su magistralement éclater les frontières du réel et de la fiction. « On a organisé un week-end avec l’association Rebond pour la Commune autour de la projection du film de Peter Watkins, La Commune, justement. Dès le lendemain, en invitant habitantes et habitants, médias libres et militants autour de cette mobilisation, nous nous sommes réunis pour réfléchir à comment le cinéma pouvait être principe actif de transformation sociale. La plupart s’est prise au jeu, et il y eu cette annonce étonnante, fictive, que le quartier de la Plaine serait rayé des cartes de la ville, et que nous allions nous réunir pour le gérer collectivement. Nous sommes donc partis en roue libre, en mêlant scènes de fiction et images documentaires, avec la proclamation, entre autres, de la Commune Libre de la Plaine, à laquelle deux cents figurants ont participé ! C’était à la fois une scène de fiction, et une réelle scène de mobilisation. » Une démarche qui résonne formidablement avec le travail cinématographique de Peter Watkins : participantes et participants ont ainsi construit de manière active le récit même du film, geste tout à fait rare dans la production actuelle. « On a commencé ainsi à voir fleurir des tags dans le quartier “Vive la Commune”, y compris sur le mur qui a été construit à la Plaine. Certaines ont écrit des voix off pour le film, il y a eu donc tous ces allers-retours entre le réel et la fiction. » Cette réappropriation de l’espace public par ses habitant.e.s devient aujourd’hui un sujet universel, largement partagé dans l’hexagone et en Europe. « Quand on présente le film ailleurs, il fonctionne partout, les gens ne viennent pas pour voir un film sur Marseille. Ils assistent à une lutte qui parle partout, à tout le monde, pour le droit à l’organisation de nos quartiers, de leur composition sociale, dans l’idée de garder l’histoire de ces espaces, sans subir les décisions verticales organisées pour transformer et imposer les choses sans eux. » Cette dynamique collective urbaine et la gestion de l’habitat et des espaces publics par la ville peut faire malheureusement écho aux drames des effondrements de la rue d’Aubagne. « Même si les dynamiques n’étaient pas les mêmes, ces deux événements ont été très liés : il y a eu bien sûr des mobilisations qui ont mélangé des habitants de la Plaine, des habitants désespérés de Noailles, voire de gilets jaunes. Aux lendemains de la construction du mur qui a quand même sonné la fin de la mobilisation de la Plaine, les immeubles se sont effondrés rue d’Aubagne, ça a été un gros coup. De notre côté, on a pratiquement abandonné le montage du film pendant plusieurs mois. Il s’achevait par une défaite. Mais en allant tout de même au bout, on a gravé ces moments de lutte dans l’histoire même du quartier. La Commune a été une défaite aussi, et c’est pourtant toujours une force d’espoir et de transformation. » N’hésitez donc pas à découvrir ce film passionnant, universel et collectif lors des diverses projections encore proposées en région !

 

Emmanuel Vigne

 

 

La Bataille de la Plaine de Nicolas Burlaud, Thomas Halenholz et Sandra Ach :

Pour en (sa)voir plus : http://primitivi.org