Chagall, du noir et blanc à la couleur © Culturespaces - S. Lloyd

Chagall, du noir et blanc à la couleur au Centre d’Art Caumont

L’art et la matière

 

Toiles, sculptures, céramiques… Pour le peintre Marc Chagall, tout support artistique devient une incitation gracieuse au mouvement ou à l’envolée. De la délicatesse du trait à une certaine naïveté chez les modèles représentés, le lyrisme est de rigueur. Au cœur du Centre d’Art Caumont, l’exposition Chagall, du noir et blanc à la couleur offre une compilation subtile d’œuvres majeures. Une échappée (belle !) où la surréalité se laisse tenter par le « teinté ».

 

Sans jamais vouloir nous duper, Marc Chagall se sert de l’apparente tranquillité de ses toiles pour mieux asphyxier l’homme derrière le peintre : un être rongé par le doute, déraciné et traumatisé, qui n’hésite pourtant pas à raconter ce que la vie lui a fait. Dans l’ensemble de son œuvre, le dialogue délibérément instauré entre couleur et obscurité a su captiver de nombreux contemplateurs. L’exposition qui lui est aujourd’hui consacrée à l’Hôtel de Caumont nous parle d’un talent sans cesse réinventé, d’une sensibilité constamment renforcée, au fil d’une chronologie plus pesante qu’il n’y parait.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Chagall fait exploser le noir et blanc en insistant sur le jeu de transparence, le clair-obscur, la fréquence du pâle et du cendré. Cette exploration totale est aussi grisante que grisée : elle symbolise aussi la nécessité d’après-guerre de faire la part belle aux corps enlacés, aux embrassades et aux touchers, aux étreintes pulpeuses et aux rondeurs enjôleuses. Ce travail décortique l’idée de fusion (en témoigne notamment sa sculpture en marbre Deux têtes à la main qui nous rend siamois d’amour) et de disproportion puisque presque systématiquement, l’homme est double, comme entremêlé, et devient alors une créature superbe mais pleine de douce « monstruosité ». Toujours, l’animal participe à ces élans collectifs en tant que protagoniste légendaire : entre l’homme et la bête, du vulnérable au mythique, Chagall esquisse un trait (d’union) tout à fait poétique.

Dans les années 50, la couleur fait son entrée en se logeant dans des œuvres pleines de vitalité et échafaudées selon des contrastes savamment maîtrisés. Rien n’est vulgaire ni même grossier. Les toiles sont chatoyantes et se fondent dans une éclatante ambiguïté : tout aussi franche que discrète, la couleur y est enfin à la fête ! Parallèlement, cette période signe l’essor de la céramique, artisanat que Chagall déflore pour mieux sublimer. Ici aussi, l’amour est une seule et unique entité, les personnages tous soumis à la même monumentalité. Quant à la lumière, elle délivre la vérité. Peintre engagé, profondément marqué par la fracture des deux guerres, Chagall n’hésite pas à convoquer religion et humanité en se faisant le représentant de communautés maltraitées : dans son œuvre L’Exode, c’est la destinée du peuple juif pendant l’Holocauste que l’on « absorbe » sans pouvoir digérer. Ce tableau sacré, géométrique et puissamment pigmenté vient pourtant cristalliser la noirceur et la désintégration d’un peuple brisé.

Et puisqu’il s’agit ici d’un art « tentaculaire » et pluriel, l’exposition revient sur les vitraux réalisés par Chagall et qui se destinaient autrefois aux églises, cathédrales, synagogues et Nations Unies. Une façon pour le peintre de faire de ces pièces rares un socle supplémentaire à son génie. Passé maître dans la représentation familiale ou amoureuse, Chagall fait souvent des « hommes » les messagers d’une ardeur furieuse, carnavalesque, nomade. Difficile de trancher sur une seule et même identité : l’œuvre de l’artiste se révèle tantôt historique, tantôt intimiste. Gorgée de luminosité et de sud, mais aussi hantée par les fantômes d’une réalité souvent péniblement éprouvée. Chagall nous donne l’art et la matière : paroxysme et onirisme n’ont jamais aussi bien rimé. À chaque tableau appartient un univers presque mystique, aux protagonistes évanescents et au charme transcendant. Le coloriste nous fait rentrer dans la danse à grand renfort de récurrences : traits de dessin enfantins, dimensions familières, associations exclusives, éclats et foisonnements. Pénétrante comme « lorsque l’on marche sur un tapis épais » (les citations aux murs de l’exposition nous rendent l’artiste plus enchanteur encore), la couleur n’a, avec Chagall, point de frontière. Toujours, la magie du surréel opère… Et l’âme, soudain, s’éclaire.

 

Pauline Puaux

 

Chagall, du noir et blanc à la couleur : jusqu’au 24/03/2019 au Centre d’Art Caumont (3 rue Joseph Cabassol, Aix-en-Provence).

Rens. : www.caumont-centredart.com