Captain Marvel de Anna Boden et Ryan Fleck

Captain Marvel est-il féministe ?

 

Deux jours avant la Journée internationale des droits des femmes sortait sur les écrans français Captain Marvel, réputé pour être le premier film véritablement féministe de la franchise Marvel. Aussi improbable que cela puisse paraître à certains, il peut être intéressant de se pencher sur le bien-fondé de cette image.

 

Après le Catwoman et surtout le Wonder Woman de DC Comics, les studios Marvel ont eux aussi décidé de donner le rôle principal d’un film de super-héros.ine à une femme.

Carol Danvers est une ancienne pilote de l’Air Force qui a passé six ans à être formée par la race extra-terrestre des Krees sans se souvenir qu’elle était humaine. Ayant appris que les ennemis des Krees, les Skrulls, venaient faire un tour sur Terre pour retrouver une source d’énergie phénoménale leur permettant de construire une arme imparable, elle se rend sur notre bonne vieille planète dans les années 90 pour éradiquer la menace. Dans cette aventure, les souvenirs vont remonter à la surface.

Sur la forme, ce nouvel opus Marvel ne révolutionne pas le genre et l’intrigue reste bien conventionnelle. Nous retrouvons les ingrédients habituels : action à gogo, effets spéciaux toujours plus léchés, dérision (humour de Nick Fury, campé par un Samuel L. Jackson rajeuni par le numérique) et clins d’œil (présence du scénariste de comics Stan Lee en début de film, indices concernant les prochains films Marvel après le générique de fin). Avec de riches moyens, une armée de techniciens met tout en œuvre pour que l’on croit à la capacité de Carol Danvers / Captain Marvel (Brie Larson) à voler vite et loin, ou à l’existence d’un peuple Kree souvent bleu et de leurs voisins détestés, les toujours verts et métamorphes Skrulls.

Sur le fond, Captain Marvel se démarque effectivement des autres films de super-héros car, de même que la couleur de peau n’a pas d’importance, l’inégalité entre genres masculin et féminin doit être dénoncée, semblent nous dire les scénaristes du film. Dans une interview récente, Samuel L. Jackson expliquait que, dans le contexte actuel (la dénonciation des actes de harcèlement sexuel du producteur Harvey Weinstein et la vague MeToo), il était important d’avoir un personnage principal féminin fort. Brie Larson pense quant à elle avoir joué dans « le plus grand film féministe de tous les temps », réclamant au passage des campagnes de presse mettant plus en avant femmes et minorités.

Dès le début du film, le ton est effectivement donné. À peine débarquée sur Terre, Captain Marvel tombe sur un magasin de location de VHS. Se croyant attaquée, elle détruit la cassette du film on ne peut plus masculin True Lies, de James Cameron, avec Arnold Schwarzenegger, avant d’enjamber une moto à la façon de Terminator. Le plus important ici n’est pas le clin d’œil à la période dans laquelle se situe l’action, les années 90, mais bien l’annonce que l’on doit en finir avec l’image de l’homme puissant et viril.

Captain Marvel n’hésitera d’ailleurs pas une seconde pour rabattre son caquet à son beau gosse cuirassé de mentor Mar-Vel (Jude Law), en choisissant l’arme qu’elle veut — autre clin d’œil, à Indiana Jones cette fois. En tant que femme, personne n’a à me dire ce que je dois faire et comment je dois le faire, nous dit Carol Danvers. Il faut dire qu’expliquer à une femme, comme le fait Mar-Vel, que les émotions sont une faiblesse, cela a de quoi énerver, et mérite bien un coup de laser dans le ventre. Au présent, Brie Larson donne ainsi à son personnage l’image d’une femme certes dotée de superpouvoirs, mais avec un comportement et une apparence loin des clichés véhiculés par Wonder Woman. Non, je n’ai pas besoin de porter mini-jupe et talons pour me battre (d’autant que cela n’est pas si pratique en fait), ni de séduire ou de tomber amoureuse pour réussir ma quête. Ici, un jean déchiré et un blouson en cuir me suffisent largement.

 

Au passé, les souvenirs de Carole Danvers sont aussi l’occasion de rappeler et dénoncer ce que nombre de femmes subissent : son père qui prétend qu’elle ne peut pas réaliser les mêmes actions que son frère, ses camarades militaires qui moquent sa difficulté à grimper sur une corde ou qui lui adressent des remarques sexistes…

Enfin, tout au long du film, les seconds rôles féminins ont aussi une place de choix et un profil emblématique de la revanche du genre féminin sur le genre masculin. La personne qu’admire le plus Caron Danvers est une scientifique de renom, et sa meilleure amie est une mère célibataire noire au caractère bien trempé.

Doit-on en déduire que le film est féministe ? Le féminisme rassemble un ensemble de mouvements, de courants de pensée touchant autant à la philosophie, la sociologie ou à la politique qui, depuis plusieurs siècles, visent, à leur manière, à identifier et promouvoir l’égalité entre femmes et hommes sous toutes ses formes culturelles, personnelles, sociales et juridiques. Bien qu’existant depuis la nuit des temps, ces mouvements sont réellement apparus au grand jour au 19e siècle avec une première vague recherchant la défense de cette égalité devant la loi (droit à l’éducation, au travail, droit de vote…), avec une réforme des institutions en ligne de mire. Une deuxième vague lui a succédé dans les années 60, à l’occasion du mouvement de libération de la femme, avec un éclairage de la société plus spécifique (domination masculine, sexisme au travail, patriarcat…) et une revendication du libre contrôle de son corps (droit à l’avortement, à la contraception…). Dans la période plus récente, la notion même d’égalité a été questionnée avec la question des frontières floues entre genres, et le caractère indispensable, pour certains, du père remis en cause avec la parentalité pour des couples homosexuels et pour des femmes seules.

Au regard du féminisme et de son évolution dans le temps, Captain Marvel nous dit effectivement qu’hommes et femmes ne sont pas simplement égaux, mais rappelle aussi que le genre féminin a trop longtemps été la cible de clichés. Ces considérations sont certes bien antérieures au film ; ce dernier n’est ni un manifeste argumenté, ni une étude universitaire, ni un projet de loi, et l’égalité entre les genres n’est abordée que sous l’angle de l’apparence, du comportement.

En tant qu’œuvre de cinéma, Captain Marvel se déguste comme un bonbon : plaisir non feint sur le moment et oubli peu après, en attendant le prochain Marvel pour les nostalgiques et les aficionados des films de super-héros. Mais ne boudons pas notre plaisir de voir un film grand public, qui attire des millions de spectateurs pour ses super-héros, les faire ressortir des salles de cinéma avec une opinion plus juste sur le genre humain en général. Hommes et femmes confondues, nous sommes bien les seuls maîtres de notre destin par notre détermination, notre affirmation, et la solidarité dont nous pouvons bénéficier et que nous pouvons offrir.

 

Guillaume Arias

 

Captain Marvel de Anna Boden et Ryan Fleck (États-Unis – 2018 – 2h04), avec Brie Larson, Samuel L. Jackson, Jude Law…