Ça ira (1) fin de Louis © Elisabeth Carecchio

Ça ira (1) fin de Louis par la Cie Louis Brouillard au Théâtre La Criée

Des hauts débats

 

Succédant au troublant Chaperon rouge présenté il y a peu au Merlan et tandis que Joël Pommerat est à Arles pour un projet dans les prisons, son multi primé Ça ira (1) Fin de Louis s’apprête à révolutionner la Criée. La pièce s’empare de la parole politique au milieu de l’année 1789, entre Révolution, mutation, perte et renoncement. Un spectacle en immersion pour le public, que servent quatorze comédiens exceptionnels. Présentation avec l’un des plus marquants : Anthony Moreau.

 

Après trois ans de tournée triomphale, trois Molières (en 2016) et le prix du Théâtre de l’Académie Française pour « l’ensemble de l’œuvre dramatique » de Pommerat (en 2015), Ça ira (1) Fin de Louis arrive enfin à Marseille, à la Criée.

Créé en 2015 dans le cadre de Mons 2015 Capitale européenne de la culture, ce spectacle n’en est pas moins une coproduction de la scène nationale de Châteauvallon, qui a aussi reçu la compagnie en première résidence en 2014. Ce qui confirme une fois de plus les judicieux choix artistiques de ce lieu et l’accompagnement méthodique dont bénéficient les compagnies partenaires, le cadre idyllique n’étant finalement qu’un détail. Accueilli en décembre dernier par Châteauvallon, Ça ira… a fait salle comble pour ses quatre représentations, drainant autant de professionnels que de public.

Loin de tenter d’expliquer un tel engouement, penchons-nous sur ce spectacle hors norme avec l’un des acteurs de la troupe, Anthony Moreau.

Pour cet habitué des auteurs contemporains (Roland Dubillard, Edward Bond, Wajdi Mouawad, Laurent Gaudé…), travailler avec Joël Pommerat signifiait devenir auteur-contributeur de la pièce. Pommerat crédite d’ailleurs tous ses acteurs comme co-auteurs dans l’édition de ses pièces. Une façon de responsabiliser autant que de redonner sa juste place à chacun.

Associant dès le début ses comédiens au projet, même au stade de la recherche avec un historien et une dramaturge, Pommerat leur a donné à lire des archives de la Révolution et des documents sur cette époque. Une base pour l’improvisation au plateau qui est le socle de son écriture. Écrivant au fur et à mesure de ce qui émerge du plateau, il en assure la structure générale, effectuant un important travail de réécriture sur le vocabulaire et la forme des phrases. Il intègre également son équipe technique fétiche, de manière à ce que tout le monde soit placé dans la compréhension du rôle de l’autre.

Cette démarche, il l’a amplifiée dans ce projet, en faisant jouer tous les rôles à chacun de ses comédiens avant de choisir sa distribution. Mais aussi en prenant le parti scénique de leur attribuer simultanément des personnages parfois totalement opposés dans le débat et les idées.

Anthony Moreau est ainsi Dumont Brézé, représentant de la noblesse puis député conservateur qui s’oppose à la réforme et à l’autorité du roi, et qui va amener à la fondation des États généraux. Il est aussi le chef du protocole, conseiller du roi et de sa famille. Puis Lagache, député du Tiers-État, radical de gauche, dans l’invective par rapport à sa volonté d’un changement de société. Et enfin l’un des membres des assemblées de quartier, défenseur de la non violence qui va se retrouver à participer malgré tout à la prise de la Bastille.

Le dispositif mis en place par Pommerat force la composition, tout en la construisant sur une forme d’empathie, via la défense des différents points de vue. Le procédé fonctionne parfaitement avec le public, le poussant à constamment changer d’opinion durant les débats, ce qui force le questionnement induit par cette pseudo « neutralité » de l’auteur-metteur en scène.

Une manière de se positionner par rapport à l’histoire non par le jugement mais via l’intime. Et donc jamais dans l’analogie avec l’époque actuelle, même si elle transparaît évidemment.

Placé au cœur des débats, le public fait ainsi corps avec les acteurs dans les discussions acharnées de l’Assemblée. Le dispositif des « forces vives » — des amateurs du lieu de présentation, briffés au préalable par deux coachs et parsemés dans le public — renforce cette mise en immersion. Pour Anthony Moreau, « les forces vives sont le quinzième comédien. »

L’œuvre de Joël Pommerat (qui est, par ailleurs, directeur du Théâtre des Amandiers) démonte intelligemment les rouages du système politique, et le fonctionnement des groupes dans la rencontre des idées et des personnalités.

« La rencontre est la chose principale chez Pommerat ! Rencontre de travail dans les stages de préfiguration qu’il instruit pour rencontrer de nouveaux comédiens. Rencontre avec un sujet et ses premières réflexions sur sa thématique, qu’il partage avec des potentiels partenaires. Puis rencontre avec un travail d’écriture mené par Joël, qui nous propose chaque jour de répétition, au bout de quatre mois, les évolutions du texte créé à partir de nos improvisations sur des moments historiques. En fait, six mois de répétition répartis en un an ont été nécessaires pour cette grosse production de plus de quatre heures. Joël nous met en immersion intense et prend les émotions de nos improvisations. En même temps, ce qui l’intéressait était de travailler sur les émotions de l’époque et les idéologies. »

Loin de votre télé ou de Facebook, préparez-vous à entrer au cœur d’un débat d’idées, dans lequel Pommerat vous offre un espace de liberté et de penser. Une révolution de la pensée.

En complément du spectacle et dans la même lignée, on ne saurait que trop vous conseiller de visionner L’Assemblée de Mariana Otero, un film documentaire sur le mouvement Nuit Debout, dans l’idée de l’invention d’une nouvelle forme de démocratie.

 

Marie Anezin

Ça ira (1) fin de Louis par la Cie Louis Brouillard : du 15 au 17/12 au Théâtre La Criée (30 quai de Rive Neuve, 7e).
Rens. : 04 96 17 80 00 / www.theatre-lacriee.com