Belle du Seigneur [Extraits] par Didascalies & Co et La Manufacture au Théâtre de Lenche

L’Interview
Renaud Marie Leblanc

Deux compagnies — La Manufacture de Jean-Claude Fall et les Marseillais de Didascalies & Co — unissent leurs talents pour donner vie, sur les planches du Théâtre de Lenche, au roman culte d’Albert Cohen, Belle du Seigneur. Une véritable performance autour des monologues d’Ariane, entre fureur et désirs inavouables. Rencontre avec le co-metteur en scène marseillais de la pièce.

 

Avez-vous appréhendé de mettre en scène ce roman culte ?
Pas du tout, puisque pour moi, il n’était pas culte. Je connaissais le roman de nom, mais je ne l’ai lu qu’au moment où l’on m’a proposé le projet. Je ne me rendais absolument pas compte qu’il pouvait être culte à ce point-là. Des gens venaient exclusivement sur le nom de la pièce, des fans purs et durs qui connaissaient le roman par cœur. J’ai vraiment été très surpris.

 

C’est la comédienne Roxane Borgna qui est venue vous chercher…
C’est exact, c’est vraiment le projet d’une actrice et la collaboration s’est faite à l’envers, en quelque sorte. De fait, je suis rentré dans l’intimité d’une actrice et dans son rapport à l’œuvre. Elle avait déjà fait son montage, orienté autour du personnage féminin central, Ariane, ce à quoi Jean-Claude (NDLR: Jean-Claude Fall, co-metteur en scène) et moi n’aurions peut-être pas pensé.

 

Pourquoi mettre en scène seulement des extraits ?
Roxane a choisi les monologues d’Ariane. C’est une femme mariée, qui s’ennuie et s’enferme dans sa salle de bain pour laisser ses pensées divaguer. Elle appelle ça ses moments de « racontage ». Elle y livre son intimité : son ennui, les débuts de l’amour qu’elle expérimente avec Solal, ses questionnements… C’est très touchant, à la fois terrible et drôle. Ça peut être trivial et puis, parfois, toucher au sublime quand elle parle de la passion, de l’amour. Elle parle aussi beaucoup de l’amour charnel, de la jouissance et de toutes ses expériences ratées avec son mari. Sa parole est complètement libre, déliée. L’écriture en devient presque sacrée, d’où le titre, d’ailleurs. C’est un portrait de femme plus qu’une volonté de donner une visibilité au roman dans sa globalité.

 

La comédienne portant le projet, quel a été votre rôle en tant que metteur en scène ?
Il s’agissait plus d’un travail de direction d’acteur. Le fait qu’elle soit seule sur scène a facilité ce travail. On a travaillé autour de l’intime du personnage, mais également sur la perception du public, comme un gros plan de cinéma. Donner envie au public d’aller vers l’actrice, presque comme des voyeurs. Roxane est consciente du public, mais ce n’est pas à lui qu’elle s’adresse. Elle réalise une véritable performance physique.

 

Quelle dimension vouliez-vous accorder à la scénographie ?
Il y a eu plein d’étapes avant qu’on décide de ne garder finalement que la baignoire. Le plateau est nu, dans le noir, seules la baignoire et Ariane sont éclairées. Tout est très symbolique, la jauge du théâtre de Lenche permettant en outre une véritable proximité avec le public.

 

Au final, racontez-vous une histoire d’amour passionnelle ou une passion destructrice ?
Ça a été une grande interrogation. Selon Cohen, le texte dénonce la passion, notamment la passion charnelle, qui est un échec selon Mais la passion, à la différence de l’amour, ne s’équilibre pas. C’est une spirale, qui ne complète pas l’humain et conduit inévitablement vers la mort. D’où l’ambivalence du texte. Je ne le juge pas car je pense que la passion est une chose à vivre, mais ça m’interroge : jusqu’où peut-on aller par passion ?

Propos recueillis par Aileen Orain

Belle du Seigneur [Extraits] par Didascalies & Co et La Manufacture : du 12 au 23/03 au Théâtre de Lenche  (4 place de Lenche, 2e).
Rens. 04 91 91 52 22 / www.theatredelenche.info

Pour en savoir plus : www.didascaliesandco.fr / www.jeanclaudefall.com