Beau travail

Beau travail

Dans Push Up, Roland Schimmelpfennig passe le microcosme de l’entreprise à la loupe et dissèque les relations sociales, les fantasmes et les névroses des employés. Lutte de pouvoir, guerre sexuelle et intergénérationnelle : rien n’échappe au scalpel incisif de l’auteur, ni à l’interprétation à l’avenant de la compagnie Ma voisine s’appelle Cassandre. Rire ou pleurer ? Tout dépend, vous travaillez à quel étage ? (lire la suite)

Dans Push Up, Roland Schimmelpfennig passe le microcosme de l’entreprise à la loupe et dissèque les relations sociales, les fantasmes et les névroses des employés. Lutte de pouvoir, guerre sexuelle et intergénérationnelle : rien n’échappe au scalpel incisif de l’auteur, ni à l’interprétation à l’avenant de la compagnie Ma voisine s’appelle Cassandre. Rire ou pleurer ? Tout dépend, vous travaillez à quel étage ?

Avis aux ambitieux, Push up est le reflet d’un monde sans pitié qui vous rappelle que quelle que soit votre branche, vous n’êtes pas à l’abri de sombrer vous aussi. A l’ordre du jour, huit portraits au vitriol et des propos bien plus acerbes que la tiède équipe de Caméra Café. Chacun son étage et le capital sera bien gardé. Les agents de sécurité au rez-de-chaussée, les cadres au quatrième et le PDG au sommet. Personne n’est oublié : pas plus la jeune arriviste aux dents longues et jupes courtes que la quinqua frustrée en préretraite droguée au vélo d’appartement, la psychorigide en pleine crise d’autorité, ou encore la gardienne qui redoute de retrouver un salarié pendu dans son bureau lors de ses rondes quotidiennes.
Et les hommes dans ce triste tableau ? En figure menaçante, l’énigmatique Kramer, grand gourou de la tour du seizième étage et dont la diplomatie n’a d’égale que la consonance agressive de son nom, présent sur toutes les lèvres. Ou encore Robert, trentenaire dynamique et « innovant » (qualité suprême !), tellement seul qu’il se venge d’une maîtresse trop fière pour le rappeler, en refusant de transmettre le projet de la belle au patron. Petit, hein ? Coups bas, coups fourrés et coups tordus sont donc permis… et même encouragés ! Mieux vaut manger qu’être mangé, et à quelle sauce ? Patience, l’assaisonnement arrive ! Relevée, plutôt aigre que douce, l’impression générale laisse un arrière-goût finalement amer. « C’est vraiment comme ça ? » demanderont les naïfs. Pire ! On s’évite et on (se) torture en toute lucidité.
La mise en scène de Nanouk Broche matérialise cette distance sociale toujours grandissante qui s’impose entre les individus : plantés aux quatre coins de la scène, les acteurs n’ont que de rares contacts, le plus souvent violents. Violence des échanges en milieu tempéré, titrait Jean-Marc Moutout pour son film sur le monde du travail. Juste image d’une apparente cordialité qui cache le mépris et l’immoralité la plus totale. En tant qu’observateur, on jubile. Non, elle n’osera pas ! Le plaisir naît du double dialogue permanent entre sa conscience et l’autre, souvent mieux placé dans la « pyramide de l’autorité ». On frôle constamment la schizophrénie. Derrière des répliques particulièrement justes et drôles, Schimmelpfennig et la compagnie Ma voisine s’appelle Cassandre mettent le doigt sur la solitude et l’ennui qui nous guettent. Absence de vie sexuelle ou multiplication des liaisons aussi bestiales que pathétiques dans le bureau du patron, compensation par le body training, les plats italiens ou le porno russe sur Internet. Autant de maux qui font la réussite des psys, du bio ou des blogs. Sans tomber dans la caricature, la pièce pousse à s’interroger sur la responsabilité du féminisme dans ce climat délétère. A trop vouloir être l’égale de l’homme, la femme aurait-elle fini par lui faire peur ? Elle hait sa propre image, présente en chaque femme de pouvoir et le mâle agressé riposte… d’égal à égal(e). A méditer.

Jennifer Luby

Jusqu’au 11/11 à la Minoterie (9/11 rue d’Hozier, 2e). Rens. 04 91 90 07 94
A noter : la Compagnie Sketch Up propose aussi en ce moment une création autour de la vie en entreprise, Jeux de Société, à voir du 10 au 12 au Parvis des Arts (8 rue du Pasteur Heuzé, 3e). Rens. 0491 64 06 37