Balade à La Nouvelle-Orléans de Malika Moine

Millefeuille | Balade à La Nouvelle-Orléans de Malika Moine

Cajuns à croquer

 

On ne présente plus Malika Moine. La talentueuse dessinatrice, qui sublime la vie phocéenne entre gastronomie (on se rappelle notamment ses Croquis Croquants) et musique, manifs et instants fugaces du quotidien, propose ici un fabuleux carnet de voyage à La Nouvelle-Orléans.

 

Bénéficiant du soutien d’un mécène américain tombé sous le charme de son trait et de ses couleurs, d’une première expérience à NOLA de son compagnon musicien Fred Burham (inlassable saxophoniste et flûtiste des nuits phocéennes), ainsi que du carnet d’adresses de l’animateur radio Robex et de sa compagne, Malika nous livre des souvenirs de voyage d’une rare puissance émotionnelle. Et en famille s’il vous plaît, puisque le fiston Ellia est de la partie (chanceux minot, il y était pendant Halloween) !

Son style graphique a toute la saveur d’un reportage dessiné d’excellente facture. La justesse des tons colorés donne une touche réaliste à l’ouvrage, en même temps que leur évanescence relève d’une sensibilité impressionniste propice à la rêverie. Certaines compositions, par l’exubérance de leur palette graphique, ne sont pas sans évoquer quelque appétence pour le tropicalisme (ah… cette collection de chaussures de carnaval !). L’irruption de dessins au fusain sur papier brun, notamment de portraits de musiciens ou de poètes, confère à l’ouvrage une force onirique rappelant le graphisme militant des expressionnistes. L’humanisme iconographique de Malika Moine est ainsi tissé de talents multiples. Son livre se déploie comme l’un de ces costumes des « Indiens de Mardi-Gras » (ces déguisements ô combien sérieux censés rendre hommage aux Amérindiens qui accueillirent les descendants d’esclaves, portés à l’occasion de marches rituelles, pas uniquement pour Carnaval) entre précision et mouvement, artifice et réalisme.

L’ethnographie sensible déployée par Malika Moine est nantie d’un profond respect pour la culture néo-orléanaise. On est littéralement embarqués par la force des cadrages et des angles de prise de vue dans un voyage sensoriel, visuel bien sûr, mais aussi gustatif (ah… ces recettes de cuisine qui font saliver… mais où trouver des épices cajun ?), voire olfactif (mmm… ce fumet du jambalaya). Un texte, toujours précis mais jamais encombrant (traduit en anglais par Brice Matthieussent, éminent traducteur et éditeur, producteur d’émissions sur les littératures anglo-saxonnes sur France Culture), confère un ton initiatique à l’ouvrage. Voyage auditif aussi évidemment : au détour d’une esquisse de marching band, on pourrait croire que la Hot 8 Brass Band surgit du livre. Comme une sorte de pop-up au rythme des rues de NOLA. On entend le cliquetis des machines à écrire des poètes de rue, les discours enflammés du maire alterno de la ville, le flot puissant du Mississipi, la langue métisse des Cadiens à l’occasion d’une virée dans le bayou. Ce livre est jazz en tout point. L’ombre tutélaire de Louis Armstrong plane d’ailleurs sur l’ouvrage, au détour d’un dessin accompagné d’une partition de On The Sunny Side Of The Street (ce manifeste du double-sens afro-américain). De même, le souvenir des ouragans dévastateurs qui frappèrent la ville, comme Katrina en 2006. L’auteure ose même un rapprochement entre la gentrification poussée qui frappe la Crescent City et la cité phocéenne…

Mais ne déflorons pas davantage le travail de Malika Moine. Si vous n’en avez pas eu assez de la série HBO Treme, ce carnet de voyage est définitivement fait pour vous ! On espère un reportage sur Carnaval pour la suite. Car, comme le chantait Professor Longhair : « Si jamais vous allez à La Nouvelle-Orléans, vous devez absolument voir le carnaval »…

 

Laurent Dussutour

 

 

Dans les bacs : Malika Moine – Balade à La Nouvelle-Orléans (Éditions R’garde moi ça)

Rencontre/dédicace autour de la sortie du livre : le 21 au Non-Lieu (67 rue de la Palud, dans le 6e)