Le Couvent Levat © Damien Boeuf
Le Couvent Levat © Damien Boeuf

Au couvent Levat, Juxtapoz est parti pour rester

Après avoir annoncé son départ, l’association d’artistes Juxtapoz va finalement bénéficier d’une prolongation au Couvent de la Belle de Mai. Une autorisation provisoire qui doit, à terme, se pérenniser. Au grand dam d’autres associations du quartier.

 

 

« La mairie soutient Juxtapoz, parce que nous avons développé au couvent Levat une résidence d’artistes, une programmation gratuite et l’ouverture du jardin », se félicite Karine Terlizzi, directrice de l’association artistique qui occupe ce lieu atypique, au cœur d’un immense jardin, à la Belle de Mai (3e). Après avoir annoncé en février plier bagage, cette dernière a finalement reçu une bonne nouvelle : la convention d’occupation temporaire dont l’association bénéficie depuis 2017, et qui devait prendre fin ce mois-ci, va être reconduite.

Mieux encore : « Il s’agit d’une convention de tuilage de quelques mois. La mairie a mis du temps à se positionner, mais maintenant, l’objectif est de développer certains axes du projet de Juxtapoz afin de pérenniser le lieu », précise la fondatrice de Juxtapoz. Et il s’agit aussi de permettre à Juxtapoz de s’installer durablement. Les artistes et salariés de la structure y voient la reconnaissance du travail effectué depuis quatre ans. Mais à la Belle de Mai, tout le monde ne voit pas d’un bon œil cette annonce.

 

« Pas écoutés, dépossédés »

© Damien Boeuf

L’arrivée sous l’ancienne mandature municipale de Juxtapoz au Couvent Levat avait déjà fait des remous dans le quartier. Alors que la mairie venait tout juste d’acquérir le site suite au départ d’une congrégation de bonnes sœurs l’ayant occupé pendant cent cinquante ans, certains riverains s’étaient sentis lésés par l’arrivée de cette association considérée comme privilégiée. Dans ce quartier populaire où les espaces verts sont quasi inexistants, le sentiment d’injustice ressurgit avec l’horizon de cette pérennisation.

« Nous avons été informés ce lundi par un mail, non pas de la Ville, mais de Juxtapoz, commente Hélène Froment, membre du collectif des Brouettes, investi depuis 2016 sur la question de la gestion de ce lieu. Mais nous n’allons pas rester les bras ballants. » Plusieurs associations de quartier, explique cette dernière, se sentent mises à l’écart dans ce projet, qui devait à la base faire du jardin Levat un parc public.

Notamment dans le cadre du projet de réaménagement urbain Quartiers Libres, qui se voulait basé sur la concertation. « Nous avons le sentiment de ne pas être écoutés, d’être dépossédés, poursuit Hélène Froment. Comme si la nouvelle mandature avait tranquillement reconduit ce que faisait l’équipe Gaudin, comme si on donnait les pleins pouvoirs à Juxtapoz sur une propriété de la Ville alors qu’il pourrait y avoir une mise en concurrence. »

 

Un opérateur tiers pour le jardin

« Juridiquement, la Ville n’est pas obligée de faire d’appel à projet, indique Karine Terlizzi, consciente du contexte. Elle a fait ce choix pour légitimer notre arrivée qui s’est faite sous l’ancienne mandature sans faire de bruit. Mais aussi car nous avons fait un bon travail, que notre bilan est positif et qu’il n’y a pas d’autres projets. Si Juxtapoz part, le couvent ferme. » Lorsque l’association a posé ses valises à la Belle de Mai, le deal était simple : en échange des clefs du couvent et de son jardin, il revenait à Juxtapoz d’entretenir et d’ouvrir un minimum les portes de ce bijou naturel. Après la mobilisation de riverains mécontents sur un fonctionnement accusé d’être « en vase clos », c’est ce que l’association a tâché de faire. Jusqu’à un certain point.

« Nous sommes arrivés à nos limites, nous ne pouvons ouvrir le jardin que sur nos horaires de travail, qui sont des horaires de bureau, et cela n’arrange pas les mamans du quartier qui voudraient par exemple pouvoir venir après l’école », concède Karine Terlizzi. Plutôt que de municipaliser le parc, comme beaucoup s’y attendaient dans le quartier, la mairie de Marseille a ainsi proposé à Juxtapoz de désigner elle-même un « opérateur tiers » afin de gérer l’ouverture du jardin. Pour l’association cela permettra une meilleure entente, mais pour d’autres il s’agit une fois de plus d’une gestion peu démocratique.

 

« Entre la culture et le social, ils ont choisi »

Les amis du jardin Levat, Mot à mot, L’an 02, le collectif des habitants organisés du 3e… Plusieurs associations mènent des missions sociales sur le site, notamment en exploitant de petites parcelles de potagers dans le jardin. « Cet opérateur extérieur va gérer la totalité du jardin. Nous avons un bon contact avec Juxtapoz mais c’est regrettable qu’il n’y ait pas plus de concertation, s’inquiète une membre d’une de ces associations. Il y a eu des contrepropositions faites avec des concertations et la participation des habitants, mais elles n’ont pas été prises en compte. Entre la culture et le social, ils ont choisi. »

Depuis les jardins potagers, Jérôme Poma, lui, dit regarder la situation de loin. Il fait partie du GEM local, pour « groupe d’entraide mutuelle », une association destinée aux personnes en souffrance psychique. « On dirait qu’ils veulent shunter la dynamique citoyenne qui voudrait participer à la gestion du bâti et du jardin », craint le « référent jardin » et président de l’association. Une « indélicatesse », estime-t-il, encore plus étonnante pour une équipe municipale qui avait fait de la participation citoyenne l’un des leitmotivs de campagne. Sollicitée, la Ville n’a pas pu répondre dans les délais impartis à la publication de cet article. Mercredi 29 septembre, une réunion des usagers du jardin est prévue avec l’équipe de Juxtapoz. L’occasion pour chacun d’exprimer son point de vue.

 

Violette Artaud